Irréductible, Tome 1

Irréductible, Tome 1

Chapitre 6

Chapitre 6 

Je me réveille dans les bras de Wil, je ne l’ai pas senti se blottir contre moi, il s’est couché tard. Je suis tellement bien, je pourrai y rester éternellement. Son odeur indescriptible me chatouille les narines quand j’enfouis mon nez dans son cou chaud, c’est agréable. Je ne me suis jamais sentie aussi bien. Je surprends son regard.

 

- Cela fait presque une heure que je te regarde dormir, j’ai cru ne jamais pouvoir me lever.

- Tu aurais pu partir.

 

Silence.

 

- En fait, reprend-t-il, tu me retiens un peu.

 

Je me rends compte que mes mains agrippent son tee-shirt avec force. Je le relâche précipitamment.

 

- Je suis désolée.

- Pas grave, me sourit-il, ce n’était pas désagréable, au contraire.

 

Je rougis puis me place en tailleur sur son lit. Il se glisse derrière moi, j’appuie mon dos contre son torse.

 

- Tu es prête pour ce soir ?

- Oui, dis-je d’une voix tremblante.

- Tu mens très mal.

- Parle-en à toutes les personnes auxquelles je mens.

 

Il m’embrasse doucement dans le cou.

 

- Tout va bien se passer, je te le promets, n’ai pas peur.

 

Je respire doucement. Je vais revoir Hermond et Dain. Mes parents nous ont quittés, ils ne reviendront pas et c’est douloureux, c’est certain. J’ai une blessure incurable au cœur, mais savoir que mes frères vont bientôt être là pour m’aider me rassure et m’aide à ne pas pleurer trop vite. Ce sont eux qui vont m’aider à me battre.

Wilfrid promène doucement ses lèvres en caressant mon ventre. Peut-être que l’un de nous deux ne va pas réussir à franchir la Clôture. Je prie pour que Wilfrid réussisse si cela devait arriver, je ne suis pas indispensable contrairement à lui. Je profite de nos instants et me colle plus fermement à son corps, ses bras se resserrent autour de ma taille. Le sentir près de moi m’est d’un grand réconfort. Ses lèvres descendent le long de mon épaule, je sens sa chaleur. Mon ventre gargouille ce qui le fait rire.

 

- Tu as faim mon ange ? dit-il en rigolant doucement.

- Oui, un peu.

 

Sans quitter ses lèvres de ma peau, il prend des comprimés blancs à l’aveuglette dans un tiroir. J’ouvre la bouche et il me le donne, je l’avale sans difficulté.

 

- Ça va mieux ? s’inquiète-t-il.

 

Je soupire d’aise.

 

- Oui, merci. C’est instantané.

 

Il regarde mes lèvres avidement. Il s’approche doucement mais un coup à la porte l’interrompt dans son élan.

 

- Monsieur Ari, veuillez ouvrir cette porte immédiatement aux noms des Leaders, tonne une voix masculine.

 

Des Leaders ? Je jette un regard anxieux à Wil. Il n’est que neuf heures et ma sœur ne travaille qu’à neuf heures et demie, cela ne devrait pas être en rapport avec ma disparition.

 

- Merde ! dit Wil tout bas. Reste ici !

- Pourquoi ? Qu’est-ce qu’ils….

- Agénia, me dit-il  sévèrement. Ce n’est pas le moment d’être curieuse.

 

Il sort de la chambre et la ferme à clé.

 

- Wilfrid Ari ! s’égosille le Leader.

 

J’entends un bruit de porte. Que se passe-t-il ? Je suis toujours assise sur le lit, les jambes recroquevillées sur ma poitrine.

 

- Désolé pour l’attente.

 

Sa voix me paraît loin, étouffée par le peu d’isolation des murs.

J’imagine le Leader être la copie conforme d’Olaf Ganecha, le crâne chauve et un air horriblement supérieur.

 

- Où en êtes-vous avec la bombe ? demande l’homme.

 

Une…une bombe ? Je m’attends à ce que Wil démente ces propos, qu’il ne comprenne pas ce qu’il se passe, mais….

 

- J’y travaille encore. Je vous promets de faire le plus rapidement possible.

 

Je n’y comprends rien. Pourquoi discute-il tranquillement de…bombe, avec un Leader ?

 

- N’oubliez pas le marché Monsieur Ari.

 

Mon cœur tambourine à une vitesse vertigineuse. Et si…et si Wil était l’un des leurs ? Non, c’est impossible, il est le Chef des Rebelles, les Leaders ont tué sa famille.

Mais alors, que se passe-t-il ?

 

- Oui, bien sûr. Dites-moi si elle va bien.

- Aussi bien que l’est une enfant en prison Monsieur Ari. Mais nous avons enlevé les rats de sa cellule, comme vous nous l’aviez demandé. Je ne sais pas combien de temps elle va tenir, alors faites vite.

 

Quelle enfant ?

 

 

- Je ferai de mon mieux.

 

Je suis déconcerté par cette histoire. Je ne saisis pas bien la situation, mais je suis sûre d’une chose : Wilfrid me cache un lourd secret.

La porte s’ouvre brutalement sur l ‘origine de mes interrogations. Je n’avais pas entendu le départ du Leader.

Il me regarde, je suis toujours assise sur le lit. Il a dans ses yeux une lueur étrange, presque féroce.

 

- Agénia, me lance-t-il sèchement. Il faut que tu partes, on se voit ce soir.

 

Je ris nerveusement devant sa froideur.

 

- Tu crois vraiment que je vais m’en aller sans poser de questions ?

 

Je reste sur le lit, bien déterminée à ne pas le quitter.

 

- Je n’ai ni le temps, ni l’envie de satisfaire ta curiosité.

 

Je suis énervée à mon tour. Pourquoi faut-il qu’il me cache toujours des choses ?

 

- Attends…je commence en élevant la voix. Mais…c’est quoi cette histoire ?

- Agénia, s’emporte-t-il. Tu commences à devenir agaçante !

 

Je descends du lit, vexée et commence à me changer. Je ne porte rien mise à part ma chemise froissée et mes sous-vêtements.

 

- Je pourrai te dire la même chose ! Alors tu as gagné,  je m’en vais, mais ne compte pas sur moi pour t’adresser la parole ce soir ou même dans les jours à venir ! Si tu ne me fais pas assez confiance, je crois qu’il vaut mieux en rester là.

 

Bien sûr, je n’en pense pas un mot, mais les paroles sont sorties naturellement et cela devrait sans doute l’aider à me dire ce qu’il se passe.

 

- Arrête ton petit numéro Agénia, je suis habitué !

 

C’est vrai que je lui ai déjà fait le coup…

 

- Et moi je n’en peux plus de toujours devoir supporter tes secrets !

 

Je pars sans même lui laisser le temps de répliquer mais mon portable sonne alors que je franchis le pas de la porte.

 

- Allo ! je réponds énervée.

- Heu….Salut Agé, c’est Tyson. Je te dérange peut-être ?

- Non, non, dis-je vivement.

- Ah…alors tant mieux. Tu n’es pas chez ton amie et chez ta sœur et nous avons rendez-vous, tu te souviens ?

 

Je le sens déconcerté par mon ton froid. Je lui réponds plus doucement :

 

- Oui, je suis au 16 rue #2567, viens me chercher s’il-te-plaît.

- Rue #2567 ? s’exclame-t-il. Mais que fais-tu là-bas ?

- C’est une longue histoire.

- Alors j’arrive.

 

Je raccroche et m’apprête à partir mais un bras me retient. Je fais face à Wil, qui m’implore du regard.

 

- Agé, me dit-il gravement, plantant son regard bleu dans le mien. Je ne veux pas que l’on se dispute, j’ai besoin que tu sois de mon côté.

 

Il m’agace prodigieusement. Il me fait passer pour la fautive !

 

- Mais je suis de ton côté ! Seulement, je ne sais pas si je pourrais y rester si tu me caches autant de choses.

 

Il se mord la lèvre inférieure.

 

- Tu vas rejoindre Ganecha ?

 

Bien sûr, change de sujet.

 

- Oui.

- Dis-lui que tu as un copain.

- Que j’avais un copain, dis-je sans en penser un mot.

 

Il me plaque contre lui et m’embrasse. Je le laisse faire.

 

- Je suis désolé, me souffle-t-il. Je pensais t’en parler après notre mariage.

- Notre mariage ? je m’indigne en me dégageant. Mais que se passe-t-il de si terrible ?

- Je peux juste te dire que connaître ce lourd secret te mettrait en danger, ils me font chanter.

 

Je me calme petit à petit.

 

- Qui est cette enfant ?

- Je ne peux pas de le dire, désolé.

 

Je soupire bruyamment.

 

- Très bien. Mais je n’attendrai pas notre mariage, une fois dehors, je veux savoir.

- J’y réfléchirai, mais je ne te promets rien.

 

Je reçois un message de Tyson. Il est en bas. J’embrasse Wil pour lui montrer que je l’excuse avant de sortir de l’immeuble.

 

SUITE DU CHAPITRE 6

 

- Bonjour !

 

 

J’ouvre la portière avec humeur. Tyson a pris la même voiture que le jour du Bal, quelle gentille attention.

 

 

- Salut, me répond-t-il, hésitant.

 

 

Il doit être déboussolé. Il est vrai que je n’étais pas des plus chaleureuses au téléphone et j’arbore maintenant un sourire éclatant.

 

Ty démarre alors que je m’engouffre dans la voiture. Nous arrivons rapidement à la Pointe Noire, j’ai de nouveau la nausée après sa conduite brusque et rapide. Nous entrons dans le garage rempli de voitures. Ty gare sa voiture avant d’éteindre le contact en me souriant.

 

 

- Ton père est chez toi ? je demande nerveusement.

 

- Oui. Pourquoi cette question ? me répond-t-il avec un sourire narquois.

 

 

Je n’ai jamais réellement vu Olaf Ganecha, la peur me saisit.

 

 

- Je voulais juste être curieuse, dis-je avec calme, pour ne pas me trahir.

 

 

Son sourire s’accentue.

 

 

- Tu as peur ?

 

- Bien sûr que non ! je m’exclame, comme si cette idée était absurde.

 

 

Il s’approche lentement de moi et plonge ses magnifiques yeux bleus dans mon regard. Un éclat de malice brille dans son regard.

 

 

- En es-tu vraiment sûre ?

 

 

Je souris maladroitement.

 

 

- Je ne serais pas ce que je suis s’il m’effrayait.

 

 

Je m’attends à ce qu’il se refroidisse en se rappelant de mon statut de Rebelle. Mais à mon étonnement, il se contente de rire.

 

 

- Très bien. Alors on y va.

 

 

Je prends une grande bouffée d’air frais avant de sortir. Nous utilisons l’ascenseur en silence, mais je sens le regard de Tyson peser sur moi. Je prends un air détaché afin de mieux me concentrer sur ma réaction face à mon pire ennemi. Peut-être sera-t-il absent… Oui, il a sûrement autre chose à faire. Nous pénétrons dans la luxueuse demeure. Ma lueur d’espoir s’éteint aussi vite qu’elle est arrivée.

 

Son air prétentieux et hautain exhale la pièce, comme si sa présence envahissait chaque centimètre carré de l’appartement. Grand et musclé, une barbe naissante, le visage dur et un regard…insupportable. Ses yeux sont verts avec quelques taches marron à l’intérieur. Je pensais éprouvait de la peur mais je me suis trompée.

 

Je ne ressens que du dégoût et de la haine pure et dure, envers cet ignoble personnage.

 

 

- Tyson… Je vois que tu es en élégante compagnie.

 

 

Quel connard…

 

 

Il me fixe, d’abord avec intérêt, puis avec antipathie. Je ne comprends pas ce changement de… Un déclic se fait dans ma tête, alors que Tyson se courbe doucement pour me rappeler le protocole. A contre cœur, je me baisse lentement, dans une révérence presque moqueuse. Toute ma haine est dans mes yeux, je voudrais le tuer tout de suite. « Cet homme a tué mes parents ! ai-je envie de hurler. Il a exterminé des dizaines de millier de personnes ! »

 

 

- C’est un honneur de vous rencontrer Monsieur Ganecha. Je me nomme Agénia Aysun.

 

 

Ces mots m’arrachent les lèvres.

 

 

- Agénia Aysun ! s’exclame-t-il.

 

 

Pourquoi l’évocation de mon nom le met-t-il dans cet état ? Peut-être est-ce parce qu’il se souvient de ma famille, ainsi que de leur meurtre.

 

 

- Le nom de Starla t’évoque-t-il quelque chose ?

 

 

Je fronce les sourcils, ne voyant aucun lien avec mes parents.

 

 

- Non, rien du tout. Pourquoi cette question ?

 

 

Ce n’est pas vraiment respectueux d’être aussi curieuse mais cette question est vraiment étrange et je veux en découvrir l’origine.

Il parait soulagé et balaye ma question d’un revers de main.

 

 

- Peu importe. Tu dois être la sœur d’Anya Aysun ?

 

 

Oui, je suis bien du même sang que cette traitresse.

 

 

- Oui, dis-je simplement.

 

 

Il me fixe durant quelques secondes avant de se tourner brusquement vers son fils, se désintéressant totalement de moi.

 

 

- Je vais voir Pale. Bonne journée. Heureux d’avoir fait votre connaissance Mademoiselle Aysun, j’espère vous revoir très prochainement.

 

 

Oui, ce serait tellement bien !

 

 

Il s’éloigne d’un pas assuré, nous laissant seuls dans le salon.

 

 

- Qui est Starla ? je demande à Tyson.

 

- Aucune idée, me répond-t-il en haussant les épaules. Mon père est assez étrange, n’y fait pas attention.

 

 

Je ne l’avais même pas remarqué !

 

 

Tyson se dirige dans sa chambre, je le suis machinalement.

 

 

- C’est propre chez toi.

 

 

Je ne sais pas quoi dire d’autre.

 

 

- Oui, les femmes de ménage sont efficaces.

 

- J’aurais aimé en avoir une, dis-je distraitement. Mais ma mère ne…

 

 

Je ne finis pas ma phrase et m’arrête brusquement. Ma mère me manque et même si je reste forte et courageuse, comme si la mort ne m’atteignait pas, je souffre. Ty me prend dans ses bras, je me laisse faire et resserre son étreinte. Mes larmes coulent une à une, doucement. Je lève la tête vers mon ami, il me sourit et passe sa main dans mes cheveux. Je ne comprends plus le reste de la scène.

 

Je l’embrasse.

 

Ce baiser est doux et réconfortant mais je recule brusquement.

 

Je ne peux pas. Je sors avec Wilfrid et celui-ci est déjà assez jaloux.

 

La bouche sèche, le ventre noué, je regarde horrifiée Tyson, j’ai la sensation d’avoir trompé Wil. De plus, j’ai apprécié cet échange…

 

 

- Je…je suis désolé Agénia, balbutie Tyson, je ne voulais pas…

 

- Non, ce n’est pas de ta faute. Je voulais juste te dire que… j’ai un petit copain.

 

 

Au vu de son visage, je sais que je lui ai brisé le cœur. Il ouvre grand les yeux et fait un pas en arrière, un sourire maladroit sur ses lèvres pour ne pas montrer sa tristesse.

 

 

- Oh. Je vois. On peut faire comme si de rien n’était si tu veux.

 

 

Je m’assoie timidement sur son lit en prenant soin de laisser une distance raisonnable entre nous. Je ne sais pas comment aborder le sujet des Rebelle après cette étrange scène.

 

 

- Tyson, je…enfin, nous aurions besoin de ton aide.

 

 

Il fronce les sourcils, surpris.

 

 

- Pour ?

 

 

Je prends une profonde respiration et le regarde droit dans les yeux.

 

 

- Il nous fait des armes pour tuer les inters.

 SUITE DU CHAPITRE 6

Il parait hésité un petit instant puis dit

 

- Je n’en ai que deux.

 

Je m’arrête de respirer durant quelques secondes lorsqu’il se dirige vers son oreiller et retire deux revolvers de la taie. J’en prends un avec une prudence. J’ai déjà eu une arme entre les mains mais celle-ci est extrêmement précieuse.

A première vue, le revolver semble banal : de couleur noire, léger et assez évolué en matière d’esthétique. Il est inscrit O.P.A sur la tranche: l’O.P.A est l’organisation qui s’occupe de la fabrication des armes des Leaders.

Je me tourne vers Tyson après mon examen et lui lance un regard interrogatif.

 

- Tu peux la prendre, dit-il en souriant.

 

J’ouvre grands les yeux : je suis surprise par son geste. Quel Leader serait assez inconscient pour offrir une arme mortelle pour lui, à une Rebelle ? Je lui fais un large sourire.

 

- Merci infiniment, tu ne peux pas savoir à quel point je te suis reconnaissante !

 

Je plonge dans ses magnifiques yeux bleus. Deux saphirs brillants et hypnotiques.

 

- Je ne demanderais qu’une seule chose : à quoi va servir cette arme ? me questionne-t-il, me faisant ainsi redescendre sur Terre.

 

Je ne sais pas vraiment quoi dire, même si je me doutais qu’il serait curieux. Wilfrid ne m’a pas interdit de lui parler du plan, mais je suppose qu’il ne m’a pas vraiment conseillé. Après avoir longuement pesé le pour le contre, je décide de le tenir au courant. Après tout, il vient de m’offrir l’arme que nous cherchons depuis bien longtemps. Il vient de nous offrir l’objet de la libération.

Je lui explique notre évasion et le reste du plan en détail, il écoute avec attention. Je tente de déchiffrer son expression mais ses yeux restent inertes, comme figés.

Après mon interminable explication, je reprends mon souffle et…

 

- Je veux venir avec vous, s’exclame-t-il.

 

Attendez….quoi ?

 

- Mais….si tu… si tu viens, tu deviendras un Rebelle !

 

Il hausse les épaules, indifférent.

 

- Oui, et alors ?

 

Je reste sans voix, complètement ébahie par ce que je viens d’entendre.

Ce… ce n’est pas possible, il se fiche de moi !

Le fils d’Olaf Ganecha ne peut décidément pas devenir un Rebelle, c’est insensé. Je me pince machinalement le bras… je ne rêve pas.

Je me lève d’un coup.

Je me demande si ce n’est pas un piège… Le doute s’installe. Je ne peux pas me permettre de le laisser nous manipuler, malgré sa sincérité. Cela dit, nous sommes plus d’une vingtaine, nous pourrons facilement le capturer s’il montrait des signes de trahison.

 

- Si tu veux sortir avec nous de Paris, il va falloir que tu apprennes à manier une arme et à tirer et en une journée, c’est mission impossible.

 

Il me regarde malicieusement.

 

- Que j’apprenne ? Je ne me souviens pas t’avoir dit que je ne sais pas déjà.

 

Sans me laisser le temps de répliquer, il m’attrape par le bras et me traîne jusqu’à l’ascenseur, sous mes cris indignés. Nous descendons au niveau -3.

Les portes s’ouvrent tandis que je me masse le bras et grommelle dans mon coin. Je découvre alors une salle d’entraînement, exactement comme dans le sous-sol de notre entrepôt. Seulement, cette salle-là est beaucoup mieux équipée et grouille d’armes dont je ne connaissais même pas l’existence. Tyson prend un pistolet, me lance un regard en coin et vise une silhouette en carton qui se situe à environ cinquante mètres de nous, au bas mot. 

 

- Tu veux que je tire où ? Ventre ou tête ? me demande-t-il avec un sourire narquois.

- Heu… je ne sais pas… la tête.

 

Il vise et tire sans même s’appliquer et atteint parfaitement la cible. Je reste bouche bée, la seule personne de ma connaissance qui tire aussi bien est Wilfrid. Il retire trois fois de la même façon est atteint trois fois l’endroit exacte où se trouve la première balle.

 

- Eh bien, je réussis à dire. Je crois que je ne peux pas te dire non pour….

 

Il se retourne brusquement et vient me plaquer la main sur ma bouche.

 

- Regardez qui voilà, tonne une voix grave derrière moi. Mon fils et sa nouvelle amie !

 

Mince, un mot de plus et j’étais fichue.

 

- Pale, je te présente la fameuse Agénia Aysun, dit Olaf d’un air enjoué.

 

Pale s’avance et me dévisage de haut en bas. Je n’oublie pas de faire une révérence ce qui a pour effet de le rendre mal à l’aise.

 

- J’ai appris la mort de vos parents, je vous présente toutes mes plus sincères condoléances.

 

Il fait au moins semblant d’avoir l’air touché. Je m’apprête à lui crier d’aller se faire voir et de me laisser tranquille, lui et cet imbécile d’Olaf, mais Tyson sent ma fureur et me prend la main pour m’indiquer de me calmer. Il m’est impossible de répondre à Pale sans lui balancer une injure à la figure. Un silence tendu s’installe alors.

 

- Savez-vous manier un revolver mademoiselle Aysun ? demande Olaf, rompant ainsi le silence en premier.

Un petit test pour vérifier mes compétences et déterminer dans quel clan je suis….

 

Tyson me regarde et articule un très léger « Non » mais je n’avais pas l’intention d’exposer mon potentiel à ces ordures.

 

- Non, je n’ai jamais essayé.

- Cela vous tente-t-il ? dit Pale en m’enfonçant encore plus.

- Ce… ce n’est pas une activité très féminine.

- Allez, juste pour essayer, insiste Olaf.

 

Mon regard se pose discrètement sur Tyson. Il hoche la tête.

Je me mords la lèvre et inférieure et murmure un vague « D’accord ».

Tyson me donne son arme et me souffle « Sois mauvaise ». Je lui réponds d’un regard appuyé et me dirige vers la cible. Je vise et fais volontairement trembler mes mains pour montrer que c’est la première fois que j’ai une arme en ma possession.

Je tire et me souviens de ma chute, lors de ma première fois, causée par la puissance du tir. J’imite le même déséquilibre, Tyson me rattrape en rigolant. Même Olaf et Pale semble avoir marché et arborent un sourire.

 

- Cela ne fait visiblement pas partie de mes talents, dis-je en plaisantant.

- Effectivement, je ne pense pas que votre métier soit Soldat, affirme Pale.

- Non, je suis une Infirmière.

- La médecine c’est de famille je vois. Comme votre mère, dit-il en hochant la tête.

 

J’ouvre grand les yeux. Pourquoi fait-il une fixation sur ma mère ?

 

- Vous la connaissiez ? je lui demande, tout en sachant que la réponse est oui.

- Pas….pas personnellement mais on m’a souvent chanté ses louanges en matière de kinésithérapeute.

 

Il ment. Ma mère était douée, c’est certain, mais pas au point d’être connue par des Leaders d’Or. Mais je ne vois pas d’autres explications, je me contente donc de cette réponse. Je fouillerai plus tard.

 

- Nous allons vous laisser, conclut Olaf avant de tourner les talons avec Pale et d’appeler l’ascenseur.

 

Une fois qu’ils sont hors de vue, je me tourne vers la cible, vise et tire parfaitement. La balle atteint le centre sans problème.

 

- Tu es une très bonne comédienne, j’ai vraiment cru que tu étais nulle, plaisante Ty.

- Tant mieux alors. Avant d’être interrompue, je voulais juste te préciser qu’il faudra que je parle à mon Chef de ton autorisation à nous suivre, mais je

pense qu’il réclamera les armes avant.

- Je n’en ai que deux anti-Inter il y en a bien une autre mais c’est Léon qui la garde. Je ne sais pas où il se trouve ne ce moment mais de toute façon, il n’acceptera jamais de me la céder. Je sais aussi que nous avons reçu récemment des tranquillisants spécialement conçu contre les Inters et j’accepte de vous offrir une cargaison d’armes en plus.

 

Je lui fais un clin d’œil.

 

- Ce sera parfait.

 

J’ai encore du mal à imaginer qu’il veut devenir un Rebelle.

Je prends mon portable et appelle Wil. Il décroche à la première sonnerie.

 

- Mon ange ? Tout va bien ?

- Oui, tout va très bien même, je pense que tu vas être content. Tyson veut bien nous donner une livraison d’armes.

 

Silence. Je pense qu’il doit être surpris.

 

- Tu es sérieuse ? Sans condition ?

 

Ah. Il n’est pas idiot.

 

- Si, il a quand même une exigence, mais elle n’est pas mauvaise pour nous.

 

Il soupire.

 

- J’imagine que je suis obligé d’accepter.

- Il veut sortir de Paris avec nous.

- Pardon ?

- Je t’en prie Wil, je l’ai vu tirer et il est aussi bon que toi.

 

Il rit.

 

- Excuse-moi mais je n’en suis pas si sûr

- Eh bien ne me crois pas. Mais je peux te l’assurer.

- Ne jure pas. Je suis certain d’être meilleure mais bon. Si le fils Ganecha veut devenir un Rebelle, j’accepte, même si c’est très étrange. Tu es sûre de ce que tu fais ? insiste-t-il.

- Certaine.

-Très bien alors.

- Nous arrivons dans cinq minutes.

 

Je raccroche et me tourne vers Tyson.

 

- Alors ? me demande-t-il, impatient.

- Tu viens avec nous. Nous avons rendez-vous avec le Chef immédiatement, il faut qu’on aille chercher les armes maintenant.

 

Je lui réponds avec un sourire franc. Même si c’est complètement insensé et très étrange, j’avoue être assez heureuse de cette collaboration, malgré quelques hésitations passagères. Tyson est… un véritable mystère. Je n’arrive pas à le déchiffrer : comment un enfant né d’une famille riche, sans problème et avec un avenir tout tracé, peut-il vouloir rejoindre l’organisation contre laquelle il a été formé à combattre ?

Il ne doit pas être humain. Enfin, c’est une façon de parler. Bien sûr qu’il ne l’est pas, mais ce n’est pas un comportement digne d’un Inter.

Il pousse un soupir de soulagement et me sourit.

 

- J’en suis heureux. Depuis le temps que je voulais fuir de cet endroit ! Mais il faut que nous soyons vigilants lorsque nous irons récupérer les armes : ils ne laissent entrer personne. Je pourrai y accéder facilement je pense, mais pour toi, ça va être compliqué.

 

Au ton de sa voix, je devine qu’il avait déjà prévu un plan.

 

- Que proposes-tu ?

 

Il se racle la gorge, gêné.

 

- Heu… je me suis dit que l’on pourrait éventuellement simuler une… relation ? C’est ce qui me paraît le plus simple, s’excuse-t-il devant mon visage en feu. Je comprendrai que tu refuses, ne t’en fais pas.

 

J’évite de le regarder dans les yeux et hoche légèrement la tête.

 

- Pas de problème, on va faire ça.

*************************

Je le soupçonne d’en profiter un peu lorsqu’il me prend la main dans l’ascenseur. Lorsque les portes s’ouvrent au niveau -2, j’essaie de jouer le jeu et me colle un peu plus à lui. L’endroit est rempli de personnes, travaillant d’arrachepied, déchargeant les dizaines de camions. Quelques hommes nous prêtent une vague attention, fronçant les sourcils devant ma présence, mais la plupart des personnes nous ignorent.

Tyson se penche vers moi et me chuchote doucement :

 

- Fais semblant de rire et rougis, comme si je t’avais raconté quelque chose de drôle.

 

Je simule un rire peu élégant mais je n’ai pas besoin de me forcer à rougir lorsque je sens son souffle glacial dans mon cou. Cela le fait sourire. J’avais oublié que la température corporelle des Inters est de 17 degrés. Nous traversons l’entrepôt, main dans la main, jusqu’à une porte renforcée, protégée par un I.S armé. Mon sourire s’efface, j’avale difficilement ma salive. Nous nous arrêtons quelques mètres avant. Tyson se penche de nouveau vers mon oreille.

 

- Agé, je ne veux surtout pas te mettre mal à l’aise, mais celui-ci va être difficile à convaincre. Il va falloir en faire plus.

 

Je le regarde en souriant pour lui montrer mon accord.

Il met sa main sur ma hanche et j’appuie ma tête sur son torse. Mon cœur se met à battre frénétiquement et bien trop vite à mon goût.

 

- Bonjour Monsieur Ganecha. Que puis-je faire pour vous être utile ? demande l’I.S solennellement.

- J’aimerai entrer dans l’armurerie, ordonne Tyson d’une voix froide que je ne lui connaissais pas.

 

Le soldat regarde Tyson avec un air aimable mais le mépris qui se cache derrière son sourire lorsqu’il me détaille, est facile à percevoir.

 

- Bien sûr Monsieur, mais cette jeune demoiselle devra rester ici.

 

Tyson me sert un peu plus fort contre lui et mon stupide cœur s’accélère de nouveau.

 

- Cette jeune demoiselle sera bientôt ma femme (il me sourit) alors je ne pense pas qu’il faille prendre des précautions avec elle, mais j’aimerais que vous gardiez pour vous notre visite. Mon père n’apprécie pas mon choix et prendrait mal cette petite excursion au cœur de la Pointe. Je pense que vous êtes de mon avis, n’est-ce-pas ?

 

Je me retiens de rire devant la façon dont Tyson manipule ce pauvre homme. L’I.S hésite, il sait que plaire à un futur Leader d’Or lui serait bien utile.

 

- Bon, d’accord, finit-il par lâcher. Mais cela devra rester strictement privé. Voici la clef du camion si jamais vous souhaitez l’emprunter.

 

Il a choisi la flatterie. Tant mieux pour nous.

 

- Merci, je me rappellerai de votre geste, conclut Ty en prenant la clef.

 

L’I.S ouvre la porte.

Je suis fascinée par ce que je vois. La pièce est immense, à un tel point qu’au moins cinq tanks et quelques camions y sont stockés. Les armes sont présentes sur chaque pan de mur, tous les types sont réunis. Du plus petit revolver, jusqu’à l’arme d’assaut, du calibre aux pistolets utilisés autrefois dans le Far-West. Des fusils, des Colts, des mitraillettes… tout y est. Mais il y a aussi des poignards, des épées, des sabres et bien plus encore.

Lorsque Tyson et moi nous avançons, je peux sentir l’arme anti-Inter qu’il m’a offerte, bloquée par mon soutien-gorge. Cela me rassure d’avoir une arme pareille sur moi, je me sens invincible.

Nous nous dirigeons vers un fourgon blindé, aux pneus aussi haut que moi. Je tente d’ouvrir la portière mais elle est tellement épaisse et lourde que je n’y arrive pas. Tyson rit et l’ouvre sans aucune difficulté. Je le remercie d’un sourire malgré mon embarras. Je rentre dans le fourgon et prends place sur le siège passager, Tyson s’assied et prend une télécommande sur le compteur. Il appuie sur un bouton et la grande porte du garage s’ouvre dans un silence absolu.

Tandis que nous attendons, je prends soudainement conscience de l’absence d’I.S dans les parages. Il n’y a personne devant le portail, c’est étrange.

Je garde cette question de côté et guide Tyson (avec une grande difficulté, n’ayant aucun sens de l’orientation) vers les entrepôts. Wilfrid nous attend dehors, les bras croisés et une mine renfrognée que je compte bien enlever de son visage.

Je sors joyeusement et dis d’un ton espiègle :

 

- Joyeux anniversaire Wil !

 

Il rit devant mon air victorieux. Ty s’avance pour échanger une poignée de main à son nouveau chef. Wil se dirige alors vers moi pour m’embrasser fougueusement, je me sens un peu gênée par rapport à Tyson, mais au moins, il n’aura plus aucun doute quant à ma relation avec le Chef.

Il me lâche et tandis que je reprends mon souffle, va aider Ty qui a commencé à décharger la cargaison. Ce dernier n’a pas l’air très à l’aise, ce que je peux comprendre car je suis moi-même un peu embarrassée.

 

- Merci Ganecha, remercie Wil avant de m’embrasser à nouveau

 

Tyson relève légèrement la tête mais se retourne rapidement devant ce spectacle.

 

- Je préférerais Ty ou du moins Tyson, dit-il, toujours dos à nous.

 

Je ne supporte pas cette situation. Je repousse doucement Wilfrid, qui me lance un regard interloqué. Il tente de m’embrasser à nouveau mais je m’écarte de lui.

 

- On se calme mon cœur, il y a du travail, dis-je avec douceur.

 

Wil lève les yeux au ciel tandis que je m’esclaffe doucement.

 

- J’appelle souvent les Rebelles par leur nom, rétorque Wil à Ty tandis que nous l’aidons. Je comprends que cela te mette dans une position délicate avec un nom pareil.

 

Tyson ne relève pas et me lance un regard perplexe. Bien sûr, il n’est pas idiot, il doit avoir compris que Wil ne l’apprécie guère pour beaucoup de raisons, c’est évident. Je soupire et hausse les épaules en lui renvoyant un regard désolé.

 

- Je suis heureux de faire partis de votre équipe en tout cas, lui répond Tyson, essayant vainement de gagner la sympathie de Wil.

 

Celui-ci lui répond par un regard méprisant.

Alors que j’assiste à cet échange, mon téléphone sonne. Après un rapide coup d’œil à l’écran, je me rends compte avec effroi que j’avais oublié ma sœur.

Je décroche, appréhendant son interrogatoire.

 

- Oui Anya ?

- Agénia, es-tu encore avec Tullia ? me demande-t-elle d’une voix sèche.

- Non, je suis avec…heu…Tyson.

 

Elle soupire et paraît se détendre à cette annonce. Je pense qu’elle se sent heureuse de me savoir en aussi bonne compagnie.

Même si elle n’a pas besoin de savoir que je suis aussi accompagnée d’un fourgon rempli d’armes et du Chef des Rebelles.

 

- Très bien alors. Tu manges avec lui ce midi ?

- Oui, on se voit ce soir.

- Pas de problème, me répond-t-elle sans réussir à cacher son excitation. A ce soir alors.

- Attends…

 

J’hésite à lui dire ce que je ressens, car je sais très bien que l’on ne se verra pas ce soir et même si je ne l’aime pas comme je le devrais, elle va me manquer. Un peu.

 

- Oui ?

 

Elle a l’air surpris.

 

- Je… je voulais juste te dire que même s’il y a quelques tensions entre nous qui ne disparaîtrons jamais, je… je t’apprécie.

 

Je ne sais pas comment lui dire que je l’ai appréciée par le passé, avant que cette guerre ne la rende méconnaissable. J’aimerais lui dire que je l’admirais, je la considérais comme mon idole lorsqu’elle était forte, déterminée et chaleureuse. J’avoue que cette époque qui me semble si loin me manque terriblement.

 

- Merci Agénia, cela…me touche, dit-elle d’un ton perplexe.

- Dis à Vilma que je l’aime de tout mon cœur.

 

L’idée de quitter ma petite sœur me déchire le cœur, j’ai le sentiment de l’abandonner à ses monstres qu’elle considère comme ses semblables. Je n’oublierai pas sa petite tête blonde aux joues roses et sa joie innocente.

 

- Pourquoi me dis-tu cela ?

- Je ne le dis pas assez, c’est tout, dis-je d’un ton renfrogné devant son manque de sentiments.

- D’accord, à plus alors.

- Au revoir.

 

Adieu.

Les garçons me regardent alors que je renifle doucement. Je n’avais pas remarqué que je parlais aussi fort. Je continue de décharger les armes, comme si de rien n’était, aidée de trois autres Rebelles venus nous prêter main forte. Nous avons organisé un repas durant lequel nous allons enlever nos bracelets, Wilfrid a trouvé un moyen de le faire sans activer l’alarme.

Ce sera le dernier rassemblement avant notre liberté.

Une fois toutes les armes déchargées au sous-sol, nous nous réunissons dans l’entrepôt, où des tables ont été agencées, un verre d’eau pour chaque personne. Nous prenons place, Tyson s’assoit à ma droite et commence à bavarder avec quelques Rebelles réticent, qui l’ignorent superbement. Je me renfrogne devant ce spectacle : il a beau essayer de se faire accepter, très peu de personnes acceptent de lui parler. Les autres Rebelles n’essaient même pas de le connaître et lui lancent des regards hostiles ou remplis de dégoût. Je suis gênée et peinée par ce manque de civilité de la part de notre équipe mais lorsqu’il commence à bavarder avec Marianne, je me sens rassurée. Quelques curieux tentent d’écouter discrètement leur dialogue mais finissent par participer eux-aussi avec animation à la conversation. Je souris devant son charme naturel qui fait rapidement effet. Il ne paraît pas méchant, je pense que cela influence aussi sa capacité à se faire accepter.

Je tourne la tête, Tullia est collée à Max, comme s’il risquait de s’enfuir à tout moment. Notre dernier repas se déroule dans la bonne humeur, les Rebelles semblent tous très optimistes pour notre évasion et cela me rassure.

Vers 14 heures, les deux volontaires chargés de l’explosion de l’immeuble partent remplir leur mission. Leurs visages ne parviennent pas à camoufler leur peur, je prie silencieusement pour que tout se passe bien. Personne ne sait s’ils parviendront à s’enfuir assez rapidement après leur diversion. Malgré cela, ils partent la tête haute, enlaçant leurs bras leurs amis, serrant des poignées de main. Une demi-heure plus tard, les Rebelles cagoulés chargés de la délivrance de mes frères s’en vont à leur tour. Wilfrid murmure quelque chose à l’oreille de Tyson, qui hoche la tête et se lève en les suivant. Il est vrai qu’il leur sera très utile pour le guider dans la Pointe Noire mais cela ne fait que renforcer mon angoisse pour eux. Wilfrid viens vers moi et me murmure un « Je t’aime » chargé d’émotion avant de me serrer discrètement la main. Une fois parti, je ferme les yeux et respire calmement, regrettant un baiser de sa part.

 

- Il est vraiment gentil avec toi, dit Tullia en se penchant vers moi, la voix pleine de sous-entendu.

 

Je tourne la tête de l’autre côté pour ne pas qu’elle voit mes yeux.

 

- Oui, je lui réponds d’une voix neutre.

 

Des heures interminables passent, sans aucune nouvelle des groupes de volontaires. Nous sommes très anxieux, même si nous ne le montrons pas. Tullia me parle de tout et de rien, dans une vaine tentative de détourner l’attention sur le manque de nouvelle. Nous ne pouvons rien faire et cela me rends nerveuse et énervée. Nous ne devons pas bouger tant que les Rebelles dissimulés en I.S n’ont pas désactivé la barrière électrique, cela pourrait bouleverser le plan.

 

- Il y a du nouveau !

 

Le peu de Rebelles qu’il reste se précipitent vers la voix mais je ne bouge pas, craignant des mauvaises nouvelles. Mon cœur se sert douloureusement et mon ventre se noue.

 

- Mission accomplie, nous devons nous rendre à la Clôture immédiatement ! s’écrie Max.

 

Je pousse un soupir de soulagement Je vais enfin retrouver mes frères, Wil et Tyson. Cela me suffit, je ne demande rien de plus. Les armes sont rapidement distribuées et nous sommes tous dans la camionnette qui nous emmène  en moins d’une minute. Une fois installée près de Max, en face de Tullia, je remarque mes mains tremblantes.

J’ai peur.

Tullia comprend mon appréhension et me prend la main en me lançant un pâle sourire.

 

- Tu te sens bien ?

- Oui, dis-je nerveusement. Je suis impatiente.

 

Ce n’est qu’un demi-mensonge.

 

- Moi aussi, me sourit-elle. Nous serons bientôt libres.

 

Le silence qui s’installe ensuite et presque aussi rassurant que toutes les paroles apaisantes. Arrivés aux frontières, nous passons facilement grâce à quelques contacts. Personne ne semble se rendre compte de la coupure de courant, l’alarme a été désactivée. La camionnette s’arrête sur une place réservée, nous restons silencieux, de peur de nous trahir.  J’ai le ventre noué par l’excitation, mais nous ne devons pas commencer l’attaque tant que Wilfrid ne nous a pas prévenus. Nous attendons durant huit minutes avant d’entendre quelqu’un toquer discrètement contre le fourgon.

La porte s’ouvre sur Wilfrid, accompagné du groupe. J’aperçois Tyson qui me sourit légèrement, un air grave sur son visage. A côté de lui, Hermond se tient droit et solennel. Malgré mon envie irrésistible, je me retiens de leur sauter dans les bras. J’aperçois la tignasse de Dain dans la foule, mais la perds aussitôt de vue.

 

- Bon, lance notre Chef à voix basse. La première vague de Rebelle se prépare au combat tandis que la deuxième s’apprête à courir et à escalader la Clôture.

 

Nous nous couvrons le visage rapidement avant de se mettre en position. Wil fait signe à la première vague d’attaquer. Des coups de feu se font rapidement entendre, ce qui augmente mon stress et mon angoisse.

Hermond vient près de moi, je me sens beaucoup plus rassurée lorsque que je lui sers la main affectueusement. Il dépose un baiser sur mon front avant de retourner vers son groupe à mon plus grand regret. Max est à côté de moi, nous sommes prêts pour l’assaut.

 

- DEUXIEME VAGUE ! hurle Wil à plein poumon.

 

C’est notre tour d’entrer dans l’action. Max et moi courons le plus vite possible, sans vraiment regarder ce qu’il se passe, ni même notre direction. Max me couvre en tirant sur tous les I.S qui s’avancent vers nous, tout en essayant de tenir le rythme et d’avancer. Je l’aide du mieux que je peux en visant à mon tour les ennemis : je tire sur quelques I.S qui tombent, seulement blessées.

Allez, tu y es presque !

Je m’encourage mentalement. Les I.S hurlent des ordres de contre-attaque et je sens que les tirs s’accumulent autour de moi. Je suis surprise de voir plus d’ennemis que de Rebelles, cela ne me rassure pas vraiment.

Les coups continuent mais je ne m’arrête pas, je tiens bon et continue de courir vers mon seul et unique but : la Clôture. Max est derrière, il est ralenti par ma faute, forcé de me protéger. Je me retourne pour l’encourager mais j’aperçois un I.S, la main sur son arme. Je suis plus rapide et le touche plusieurs fois avant de le voir s’écrouler de douleur. Une fois arrivée à la barrière, je me place près d’un tas d’armes abandonnées, un peu à l’écart de l’agitation.

Max arrive vers moi, haletant. Il pose sa main sur mon épaule et me remercie chaleureusement de l’avoir sauvé.

 

- C’est plutôt moi qui devrais te remercier, je lui réponds en souriant.

 

Il me fait un signe de tête reconnaissant avant de reprendre la parole :

 

- Passe la première, je te couvre.

 

Je ne discute pas et grimpe le plus vite possible : la barrière est vraiment mal faite, il y a des points d’appuis partout, ce qui rend le parcours facile. Une fois arrivée en haut, je m’assois sur des trous entre les barbelés et fais signe à Max de grimper. Rester en haut, à la vue de tous est assez risqué mais je peux couvrir Max facilement lorsqu’un I.S  s’approche en courant de la barrière. Je lui tire dessus, du sang gicle de sa poitrine… Je regarde le corps s’effondrer lentement, le regard dans le vide, la bouche grande ouverte.

C’était un Humain. C’était ma première victime.

Je regarde le corps sans vie de l’homme et je sais que ça ne sera pas ma dernière fois.

 

- Rien de cassé ?

 

Je regarde Max, comme si c’était un inconnu, la mine encore choquée. Il me regarde avec affolement.

 

- Agénia, ça va ?

 

Je secoue la tête pour reprendre mes esprits.

 

- Oui merci, dis-je machinalement.

 

Il continue de me fixer étrangement.

 

- On devrait y aller, me dit-il enfin, en fronçant les sourcils.

 

Nous descendons rapidement de l’autre côté. Quand mon pied touche le sol, je me sens libre, délivrée de toute contrainte. C’est un sentiment si bon, j’ai l’impression que je l’attends depuis une éternité. Mais mon exaltation est de courte durée, les coups de feu me ramène sur terre. Je cours le plus vite possible, je suis vite rattrapée par Max qui court à mes côtés en m’encourageant :

 

- Allez Agénia, on y est presque !

 

J’essaie de faire abstraction au décor macabre : des maisons détruites, des herbes sauvages, une odeur pestilentielle, des cadavres, du sang… Je réprime

un haut de corps et continue d’avancer. Après quelques foulées, les coups de feu ne sont que des bruits sourds et étouffés. Ici, hors de la ville, il n’y a pas de Leader, pas d’I.S, pas de règles, pas de peur. Je me sens tellement bien, je tourne sur moi-même, les yeux plein de larmes de joie. Autour de moi, il y a le même enthousiasme, Léa Nicole est là, avec Kilian, Romain et Joshua (blessé, mais en vie et souriant). Je vois Tullia arriver en courant, seule et les larmes aux yeux. Je ne vois pas Marianne, son binôme, j’en conclus qu’elle ne s’en est pas sortie…

Elle se jette dans mes bras et me serre fort.

 

- Enfin, me murmure-t-elle. Agénia, on a réussi.

- Oui, on a réussi, je lui réponds doucement, en lui caressant les cheveux.

 

Il ne me manque que les quatre hommes de ma vie pour pleinement me rassurer : Hermond, Dain, Tyson et Wilfrid. J’ai vraiment besoin d’eux pour vivre mon plein bonheur.

 

- Ils sont là ! crie Léa.

 

Je lève la tête : ils sont bien ici, sains et saufs. Hermond est le premier, suivi de Wilfrid et de Tyson. Je cours vers eux et serre Hermond dans mes bras, il m’enlace tellement fort que je ris nerveusement lorsque j’ai du mal à respirer. Je suis tellement heureuse de ces retrouvailles que je pleure à nouveau de joie.

 

- J’ai cru que je ne te reverrai jamais, dis-je tout bas.

 

Je suis tellement comblée que ma voix se brise.

 

- Désolé Agénia, j’aurais dû te dire que j’étais un Rebelle.

- Je pourrais te dire la même chose, dis-je en souriant. Vous m’avez…

 

Je m’arrête. Vous ? Mais… Où est Dain ? Je fixe Hermond, interloquée et remarque qu’il a pleuré. Il baisse les yeux en guise de réponse.

 

- Il ne courait pas assez vite, explique-t-il doucement. Je l’ai porté sur mon dos mais c’était très dangereux, un I.S lui a tiré sur la tête.

 

Mon visage se décompose et mes membres flanchent. Je tombe par terre, à genoux, comme si je venais de me prendre une balle. J’ai tellement mal au cœur que je me demande si ce n’est pas le cas…

 

- Dain, dis-je d’une voix voilée.

 

Il était trop jeune. J’ai l’impression de revivre sa mort, d’avoir le cœur déchiré une deuxième fois. Pourquoi ? Nous allions enfin être réunis, enfin heureux et libres.

 

- Dain !

 

Des larmes coulent tandis que j’extériorise ma colère et ma douleur. Des mains puissantes viennent me relever avec douceur. Je me dégage de l’étreinte de Wil. Il me parle mais je n’entends rien, je ne ressens plus les contacts des gens qui m’entourent. Mon bonheur s’est volatilisé en une seconde, à cause d’un I.S. Je suis sûre qu’il n’est même pas touché par le meurtre d’un enfant de dix ans…

Hermond pleure avec moi, je pense que c’est plus douloureux pour lui, il doit se sentir responsable. Je lui lève la tête et le regarde dans les yeux, ma main sèche ses larmes. Nous devons faire notre deuil, il ne faut pas se laisser gagner par la haine et la colère.

 

- Ca va allez, ça va allez…

 

Je ne sais même pas qui parle. Est-ce moi, pour réconforter Hermond ? Ou le contraire ?

 

- Ton petit frère a été très courageux.

 

Une nouvelle voix fait son apparition, et celle-là, je la reconnais. Je me lève et prends Tyson dans mes bras, qui n’est visiblement pas habitué à ce genre de démonstration. Il se dégage gentiment et me met un bracelet au creux de ma main.

 

- Il était à Dain, je me suis dit que tu aimerais l’avoir avec toi.

 

Je le regarde : effectivement, le bracelet est gravé au nom de Dain. Je pleure à nouveau, mais plus doucement.

 

- Merci Ty, je n’oublierai pas. Je suis heureuse de pouvoir l’avoir près de moi maintenant.

 

Il est trop petit pour mon poignet, je l’accroche donc à la chaîne de mon collier, un cadeau de mes parents pour mes quatorze ans : un pendentif en forme d’aigle, pour me rappeler de garder mon courage et ma liberté. Ce collier représente maintenant les personnes qui sont parties trop tôt, celles que je n’oublierai jamais. Les autres Rebelles se sont écartés, par respect de notre douleur à Hermond et moi. Wilfrid se dirige vers eux, précédé de Ty et dit d’une voix forte :

 

- Bravo à tout le monde. Je vois qu’il manque Marianne, gardons son courage en mémoire.

 

Après un instant de silence, Wilfrid nous annonce notre départ pour le Camp.

 

- Le Camp ? demande Léa.

 

Elle a l’air curieux, je sens que nous allons bien nous entendre malgré notre différence d’âge d’un an seulement.

 

- C’est un peu long à expliquer, et nous n’avons pas beaucoup de temps. Ils vont lancer des I.S pour nous retrouver dans quelques vingtaines de minutes.

 

Je regarde ma montre, il est dix-huit heure. La nuit tombe tard l’été mais on doit se dépêcher. Je renifle doucement et essuie mon visage avec ma manche. Hermond me prend la main et je la serre en guise de remerciement : il faut que nous restons soudés face à ce qu’il nous attend, et il sait que j’ai besoin de lui plus que jamais.


22/12/2014
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Chapitre 5

Chapitre 5

Cela fait maintenant deux jours que mes frères restent introuvables, je commence à perdre espoir. Notre plan bien avancé, ne peut pas marcher tant que nous n’avons pas l’arme pour tuer les Inters. C’est incroyable tous les évènements qui ont eu lieu en l’espace d’une semaine seulement, je n’ai même plus le temps de me reposer plus de trois heures. Aujourd’hui, c’est un nouveau dimanche qui commence mais je le passe chez Tullia, pour pouvoir aller à la réunion sur les volontaires.

Je n’ai pas encore décidé si je suis prête pour me porter garante, j’ai peur de ne pas réussir à m’enfuir mais fuir d’ici a toujours fait partie d’un de mes plus grands rêves.

Je me lève pour me préparer rapidement et une fois prête, je descends prendre l’ascenseur. Le taxi doit sûrement déjà être en bas, il faut que je me dépêche.

Tullia vit dans un quartier riche et bien qu’il le soit moins que celui d’Anya, il est très fréquentable. Son père est un grand médecin et sa mère est une Leader 7. C’est une femme très coléreuse et froide. Elle m’a déjà giflée car j’avais critiqué les I.S.

Tullia m’accueille les bras grands ouverts, avec sa bonne humeur habituelle. Elle a le caractère de son père, mais la beauté de sa mère. C’est une belle blonde aux yeux verts.

 

 

- Alors, prête pour une soirée de folie ? Au programme, télé pour se transformer en zombie, et repas light qui est constitué de…eh bien de pilule !

 

 

Elle regarde autour d’elle et me murmure rapidement :

 

 

- J’espère que t’as pris de l’alcool pour supporter la vieille.

 

 

Je ris.

 

 

- C’est pas assez efficace, j’ai pris un flingue

 

 

Elle hoche la tête et me fait un clin d’œil.

 

 

- Ce sera parfait, je savais que je pouvais compter sur toi !

 

 

Nous rigolons toutes les deux et nous entrons dans l’immeuble. Sa maison est grande et éclairée.

 

 

- Ah ! Et voici la future Madame Ganecha !

 

 

Je me tourne vers Helen Legolase, toujours dans son éternel tailleur gris perle. Aussi blonde que sa fille, c’est une grande femme au visage fin et sculpté et aux grands yeux bleus.

 

Je lui lance un regard surpris avant de rougir. D’où diable peut-elle bien tenir cette folle rumeur ?

 

 

- Bonjour madame. Je…je ne pense pas que l’on puisse parler de mariage pour l’instant, je n’ai que seize ans. De plus, je ne connais pas bien Tyson.

 

- Mais voyons mademoiselle Aysun, me répond-t-elle comme si j’étais ridicule. Les années passent si vite, et puis je pense que monsieur Ganecha a eu le coup de foudre pour vous !

 

 

Elle me fait un grand sourire, bientôt précédé par un clin d’œil et je rougis malgré moi. Cette fausse bonne humeur m’agace au plus haut point, car je sais pertinemment qu’elle veut se servir de moi. Si je venais à me marier avec Ty, je monterais de manière fulgurante dans la société et je pourrais par conséquent valoriser sa famille.

 

Tullia lève les yeux au ciel et me pousse vers sa chambre, m’évitant ainsi de répondre à cette rumeur ridicule.

 

Nous avons temps libre jusqu’à 9h15. Tullia me raconte que sa mère ne cesse de lui parler de Léon Hemine, qui contrairement à Tyson, est arrogant et prétentieux.

 

Nous « déjeunons » ensemble, j’évite de croiser le regard de Mme Legolase. Ses parents ne semblent pas m’accorder une grande importance, si ce n’est pour me demander des informations sur ma relation avec Tyson.

 

Nous visionnons les images de la guerre, des règles, des Leaders et pour terminer, des discours des Leaders d’Or. Helen Legolase semble fascinée, ses yeux sont rivés sur l’écran. Je donne un coup de coude à Tullia, qui s’endormait et lui montre sa mère d’un signe de tête. Nous pouffons discrètement de rire.

 

Lors du dîner, j’écoute la mère de Tullia parler avec admiration  des Leaders, des Inters et toutes ces autres idioties. J’avale mes comprimés en silence, même si je bous à l’intérieur. Comment Tullia peut-elle supporter cela au quotidien ? Même Anya et Vilma ne sont pas aussi obnubilées par « les créateurs d’une société nouvelle », pour citer ses propos.

 

 

- Les Inters sont un peuple tellement fascinant ! Tullia, ma chérie j’espère de tout mon cœur que tu en trouveras un à ton goût !

 

 

Elle lui tapote la main à la manière d’une grand-mère. Tullia lui lance un sourire crispé, et me jette un regard exaspéré une fois que sa mère recommence dans son monologue. Même M Legolase semble sur le point de s’endormir,  n'étant pas du même avis que sa femme. Peut être craint il une énième dispute sur ses idées.  

 

 

- ….me semble que les Leaders d’Or sont sur le point de découvrir un antidote contre le cancer, n’est-ce pas ?

 

 

Elle se tourne vers son mari mais je ne peux m’empêcher de dire ce que j’ai sur le cœur.

 

 

- C’est vrai que les médicaments sont sûrement plus efficaces que les fusillades des I.S.

 

 

Silence autour de la table, tout le monde est suspendu dans son geste. Tullia repose lentement sa fourchette en ouvrant de grands yeux, M Legolase toussote discrètement dans sa serviette. Je rougis de honte, je suis mortifiée par ce que j’ai osé dire.

 

Mme Legolase semble sur le point de se jeter sur moi. Ses yeux s’agrandissent sous l’effet de la fureur, son visage vire au rouge vif, ses mains tremblent.

 

 

- Comment oses-tu, sifflet-t-elle entre ses dents. Espèce de sale petite…. INSOLENTE !

 

 

Tullia se lève d’un bond et dit d’un ton qui se veut poser.

 

 

- Maman, tu devrais te calmer. Tu sais, je pense que…

 

- Tais-toi, l’interrompt sèchement sa mère en se levant aussi. Ton….amie (elle dit ce mot avec tout le mépris du monde) devrais songer à nous quitter le plus rapidement.

 

- Ce sera bientôt le couvre-feu, répond au tac au tac Tullia.

 

 

Mme Legolase semble peser le pour et le contre. Elle reste de longues minutes à me regarder, cela devient gênant. Finalement elle s’assit, ne voulant créer aucun conflit. Elle soupire et se masse doucement les tempes.

 

 

- Tullia, dit-elle d’une voix qui a retrouvé son calme. Vas dans ta chambre. Tout de suite. Et emmène-la loin de moi.

 

 

Dans des circonstances différentes, j’aurais pu me sentir vexée. Mais sur le moment, je me précipite hors de table et talonne mon amie.

 

 

- Pfiou ! soupire-telle en fermant la porte à clef. T’es vraiment suicidaire !

 

 

Elle rigole un bon coup (je ne trouve pas cela comique, mais passons) et s’allonge sur son lit.

 

 

- Ecoute, ne m’en veux pas, mais je n’ai pas envie de parler des problèmes (elle mime le mot en faisant tourner son doigt près de sa tête) de ma mère.

 

 

C’est à mon tour de m’esclaffer.

 

 

- Je suis désolée.

 

 

Ce sont les premiers mots que je prononce depuis ce que j’ai dit sur les I.S. Tullia balaie mes excuses d’un coup de main.

 

 

- Pas de problème ma belle !

 

 

Nous nous asseyons en tailleur sur son lit. Le couvre-feu est dépassé, mais nous ne réagissons pas.

 

 

- Ah oui, tu ne m’avais pas dit que tu allais te marier au grand Tyson Ganecha !

 

- Pour ma défense, je n’étais pas au courant non plus.

 

- Il est gentil ?

 

- Eh bien….je ne peux pas dire le contraire, étant donné qu’il a fait beaucoup de choses pour moi.

 

- Et puis, il a l’air mignon ! Ou du moins, il passe bien à la télé ! 

 

 

Elle me fait un clin d’œil et je fais de mon mieux pour ne pas rougir pour la quatrième fois de la journée. Note à moi-même : acheter du fond de teint au marché noir lundi soir.

 

 

- T’es trop mignonne !

 

 

Elle me pince la joue et je grogne.

 

 

- Lâche-moi !

 

 

Elle continu de se moquer de moi, puis s’arrête subitement, en me fixant d’un air inquiétant. Elle me rappelle une poupée que j’ai vue dans un film d’horreur que Wil m’a montré malgré moi.

 

 

- Qu’est-ce qu’il se passe ?

 

 

Elle me fait un sourire malicieux.

 

 

- Pourquoi tu ne l’épouses pas ?

 

 

Elle n’est pas au courant pour ma relation avec Wil, je ne dois pas me trahir.

 

 

- C’est le fils de notre ennemi juré, Tullia. Tu t’imagines ?

 

- Tu m’as dit qu’il détestait son père.

 

 

J’ouvre la bouche, prête à répliquer mais rien ne sort. Elle marque un point, Tyson m’a clairement fait comprendre que les relations entre son père et lui était….plutôt houleuses.

 

 

- Tullia, ça va pas ! C’est le fils d’un Leaders d’Or ! Le fils d’Olaf Ganecha ! C’est…c’est…

 

- Un mec mignon et gentil.

 

 

Mon portable sonne. Tullia me le prend vivement  et lâche un petit rire.

 

 

- Tiens, quand on parle du loup !

 

 

Je lui lance un regard noir.

 

 

- Tuli, rends-moi ce téléphone !

 

- Attends, je veux juste entendre le son de sa douce voix.

 

 

Elle décroche.

 

 

- Allo ? …  Non, ce n’est pas elle, bravo ! … C’est sa meilleure amie, Tullia, enchantée ! …  Euh… elle est sous la douche mais on peut discuter en attendant !

 

 

Je lui fais signe d’arrêter mais elle continu. Son sourire se transforme en grimace, elle me tend le téléphone.

 

 

- Je crois que c’est sérieux.

 

 

Je lui arrache le portable des mains.

 

 

- Allo Tyson ?

 

- C’est bien Agénia ?

 

- Oui, en personne.

 

- J’ai une mauvaise nouvelle.

 

 

Je m’attends au pire. Je fais une grimace à Tullia, qui semble interpellée.

 

 

- Qu’y a-t-il ?

 

 

Il prend une profonde inspiration.

 

 

- Je ne sais pas comment te l’annoncer sans être trop brutal.

 

 

Il commence à me faire peur. Ma voix se brise.

 

 

- Mes frères sont morts ?

 

- Non ! s’écrit-il. Ils sont en vie mais ils se sont fait capturer par des I.S aujourd’hui, et mon père a ordonné leur exécution pour demain.

 

 

Ma lèvre inférieure se met à trembler, Tullia me prend dans ses bras.

 

 

- Je vais tenter de repousser l’exécution du mieux que je peux mais je ne peux pas faire grand-chose…. Tu penses que l’on peut se voir demain matin ?

 

- A quelle heure ?

 

- A neuf heures. Je passe te prendre chez toi ?

 

- Non, je suis au 50 rue #5625

 

- D’accord, c’est noté. Bonne nuit Agé.

 

- Bonne nuit Ty.

 

 

Je raccroche et je regarde l’heure avant de me tourner vers Tullia. Celle-ci hoche la tête. Nous devons nous rendre à la réunion pour l’évasion de mon frère.

*****************************

- Quoi ?! s’exclame Wilfrid quand je lui annonce l’exécution de mes frères. Pour le lendemain soir.

 

Il prend sa tête entre ses mains pour réfléchir.  Nous l’observons en silence, l’air grave. Il est notre chef, il se doit de trouver les solutions à nos problèmes, et nous en avons un de taille.

Wil finit par relever la tête brusquement.

 

- Tout a changé maintenant, nous devons quitter Paris dès demain.

 

Nous le regardons tous, stupéfaits. Demain ! Il nous faut impérativement plus de préparation, nous n’avons pas assez d’arme, pas assez de temps ni de préparation !

 

- Bon, voilà le plan.

 

Wilfrid nous explique brièvement le plan et nous en distribue une copie que je lis rapidement. Il n’est pas Chef pour rien, ses idées sont géniales, malgré quelques sacrifices. Je sais bien qu’il déteste cela, mais comme nous sommes impuissants lors d’une bataille contre les Inters, nous devons ruser et les guider vers un faux combat.

Tout le monde est encore plongé dans son papier ou le nez en l’air. Je le relis alors, machinalement :   

- J’ai toujours besoin de dix personnes pour sortir, dit Wil, rompant ainsi le silence. Mais je préviens d’abord les plus motivés : ce sera un sacrifice, car une fois dehors, vous ne pourrez plus rentrer. Du moins, tant que nous nous battrons contre les Inters. Ne pensez plus à la protection de voter famille une fois sortis et ne soyez pas certain de passer la barrière. Je veux donc huit personnes car j’y vais moi-même, Hermond aussi mais je ne compte pas Dain, bien trop jeune.

 

Un homme lève la main.

 

- Romain Wayne, vingt ans.

 

Puis c’est au tour d’une femme.

 

- Marianne Tunopia, vingt-quatre ans.

 

Un jeune homme se lance, l’air sûr de lui.

 

- Joshua Keloto, dix-sept ans.

 

Joshua….Comme mon père. Ma peur disparaît lentement, laissant place à un sentiment de vengeance, plus intense. Je ne veux pas rester à Paris tandis que les choses bougent, dehors. Je ne peux tout simplement pas. Je refuse de rester à l’écart ! Je lève brusquement la main et n’attends pas la permission de parler.

 

- Agénia Aysun, seize ans ! je hurle presque.

 

Tout le monde me fixe, je me sens rougir. Je suis la plus jeune rebelle avec Tullia, ma participation est donc étrange. Mais ce ne sont pas leurs regards qui me perturbent…c’est celui de Wil. Il est furieux, ça saute aux yeux, mais je ne regrette pas mon choix. Une main se lève, surprise générale quand la voix annonce :

 

- Max Baldric, dix-huit ans.

 

Tullia, encore sonnée par ma participation, semble encore plus bouleversée.

 

- MAX ! Non, je t’en supplie, non ! s’écrie-t-elle.

 

Il se tourne vers elle et la regarde avec une certaine tendresse tous en restant ferme. Il ne changera pas d’avis.

 

-Désolé Tullia, mais je veux me rendre utile.

 

Mon amie pleure à présent. Elle vient de perdre les deux personnes qui lui étaient les plus proches. Elle relève la tête pour faire face à Wil.

 

- Je participe aussi alors ! Tullia Legolase, seize ans !

 

Les autres nous observent avec curiosité. Les deux plus jeunes recrus qui se dédient au combat, ce n’est pas habituel. Peut-être trouve-t-il que nous somme courageuse ou idiote ? Voilà que notre geste encourage d’autres Rebelles à nous suivre.

 

- Killian Falva, vingt-et-un ans.

- Léa Nicole, dix-sept ans.

 

Wil compte mentalement les participants actuels.

 

- Très bien, le compte est bon. Donc… Romain, Marianne, Joshua, Tullia, Max, Killian, Léa (il soupire) et Agénia, merci de votre bravoure. Je vais créer des équipes équitables, les binômes ne devront se quitter sous aucun prétexte lors de la sortie. Enfin, sauf si l’un se fait tuer.

Un long silence suit cette déclaration. Devant nos visages quelque peu effrayés, Wil reprend avec un peu plus d’engouement :

- Alors…. Voici les groupes : Romain et Joshua, Killian avec Léa, Tullia et Marianne et Max avec Agénia.

 

Une main se lève.

 

- Oui Tullia ?

- Je peux être avec Max ? Sans vouloir te vexer, dit-elle en se tournant vers Marianne, qui hoche la tête compréhensive.

- Non, répond sèchement Wil.

- Mais ce n’est pas juste Wil ! Agénia et Max sont de très bons tireurs, et de mon côté, je ne suis pas spécialement douée dans ce domaine. Et toi Marianne ?

 

Celle-ci hoche la tête négativement. Tullia jette alors à Wil un regard insistant.

 

- Qui t’as permis de m’appeler Wil ? Ma réponse est non, fin de la discussion !

 

Je ne comprends pas immédiatement la réaction de notre Chef. Avec Max comme partenaire je suis sûre de m’en sortir, mais Tullia prend beaucoup de risque avec sa binôme. Je refuse qu’elle se mette encore plus en danger pour me garantir une sécurité assurée.

 

- Chef, je suis d’accord avec Tullia ! je lance sans vraiment réfléchir.

 

Il se tourne vers moi avant de lever les yeux au ciel.

 

- Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi ! J’ai dit non. Et le premier qui cherche à raisonner ne viendra pas avec nous.

 

Je m’apprêtais à discuter, mais il m’a eu. Si je rétorque encore, je ne viendrais pas et il aura eu ce qu’il voulait. Si je me tais, il sera content d’avoir autant d’autorité sur nous. Qu’est-ce qu’il peut-être agaçant parfois !

La réunion se termine sans trop d’objection. Nous décidons qui va tirer sur les I.S pour surveiller nos arrières et ceux qui vont aider à l’évasion de mes frères. Finalement, tout notre groupe de Rebelle participe à ce projet un peu fou et repart un peu anxieux des évènements du lendemain.

Je dois prendre le métro pour aller chez Tullia car elle reste encore un fois avec Max, mais en essayant de m’échapper, une poigne de fer me retient le bras.

 

- Tu croyais t’en sortir comme ça ? grogne Wil.

- J’aurai essayé, dis-je en soupirant.

 

Une fois l’entrepôt vide, il ferme la porte et revient me plaquer contre le mur.

 

- Agénia… Pourquoi te porter volontaire ?

- Je….je ne voulais pas rester ici les bras croisés, Je bafouille

- Mais tu aurais été en sécurité !

 

Je ne réponds pas et respire lentement. Je savoure chaque bouffée d’air, son parfum me chatouille les narines. Je n’arrive pas à la définir, peut-être est-ce de l’eau salée ou de la pluie. Je colle mon front sur le sien, ma respiration devient erratique. Nos lèvres sont si proches qu’un seul mouvement pourrait se les faire rencontrer.

 

- Je t’aime Agénia, me souffle-t-il. Mais tu es vraiment têtue.

 

Je suis soulagée qu’il ne s’énerve pas. Dès qu’il s’emporte, c’est difficile de le contrôler, je n’y arrive que rarement. Il ne m’a jamais fait de mal, cela va de soi, mais je suis obligée de le fuir quand il est dans cet état.

 

- C’est ce qui fait mon charme, dis-je en souriant.

 

Il étire ses lèvres d’un sourire et met sa main dans mes cheveux. Je place mes mains autour de sa nuque, ses lèvres se posent sur mon cou pour m’embrasser doucement. Je frissonne de plaisir, sa bouche remonte lentement le long de mon oreille.

 

- Une fois dehors, on ne se cachera plus, me susurre-t-il.

- Je serai la plus heureuse du monde, je murmure presque imperceptiblement.

 

Il rit doucement avant de reprendre son sérieux. Je n’aime pas quand il est comme ça ! Il ne peut jamais quitter son rôle de Chef, même quand nous sommes seuls.

 

- Tu m’as dit que le fils Ganecha a utilisé une arme contre les Inters ? Tu penses pouvoir t’en procurer une ?

 

J’ai vraiment l’impression qu’il me manipule parfois. Toujours la manipulation !

Je soupire, il sait qu’il m’agace avec ses plans.

 

- Je le vois demain, je lui demanderai.

- Comment ça tu le vois demain ?

 

Wilfrid est naturellement jaloux, et je pense que le physique de Tyson ne le rassure pas vraiment….

 

- Wil, dis-je sérieusement. Arrête ça tout de suite. Il m’a sauvé la vie, c’est normal qu’on soit amis !

 

La jalousie est encore flagrante dans ses beaux yeux bleus.

 

- Il sait que tu as déjà quelqu’un ?

- Bien sûr que non ! Si ma meilleure amie ne le sait pas, je ne vois pas pourquoi il serait au courant.

- Eh bien tu l’informeras de ma présence, parce qu’au rythme où vont les choses, tu finiras mariée à ce type à la fin de l’année.

 

Je n’avais pas pensé qu’il pourrait prendre ce rendez-vous comme un…..rencard.

Il m’embrasse tendrement pour ne pas y penser et je fonds.

 

- Agénia Aysun, tu es à moi, ne l’oublie jamais.

- Agénia Ari, dis-je en souriant.

- Un jour tu devras t’habituer. A moins qu’Agénia Ganecha soit plus tentant…

- Ari c’est plus court, dis-je d’un ton ferme, mettant fin à cette conversation. Je t’aime Wil, ne doute pas de…

 

Il fond sur mes lèvres sans attendre la fin de ma phrase. Il prend mes mains pour plaquer mes bras au-dessus de ma tête, se collant un peu plus sur mon corps. Il provoque des sensations si fortes en moi. Mon pouls bat frénétiquement, je n’arrive plus à tenir le rythme. Ses lèvres ne m’embrassent plus, elles me dévorent. Il s’appuie encore plus, comme pour défouler sa colère. Mes poumons me brûlent, ce qui me force à rompre cette étreinte fiévreuse. Il me contemple avec avidité, malgré nos souffles irréguliers, entremêlés quelques secondes plus tôt. Il m’embrasse légèrement sur la joue.

 

- Tu veux venir chez moi ? 

 

Je lui souris ravis par cette idée et nous nous dirigeons vers sa voiture. Elle est différente de la dernière fois...

 

 

 - Tu vas te faire prendre à force.

 

 

Il rit alors qu’il vient de voler une nouvelle voiture !

 

 

- Tu sais, le vol consécutif de bagnole, c’est pas franchement mon plus gros problème !

 

 

Je lève les yeux au ciel et soupire. C’est souvent la même chose. J’essaye de le mettre en garde mais il n’écoute rien. Il est, et sera toujours dans la merde, dit-il. Je monte dans le véhicule. La voiture démarre, je commence à observer le paysage qui défile à travers la fenêtre. Paris est bien différent. A l’est, le quartier des M.S. Au centre, les grands buildings, la  Pointe Noire et mon lycée, le quartier où je vivais. Les quartiers riches, ceux où Tullia vit, se trouvent à l’ouest, opposé au M.S donc. La ville entière a été rongée par les nouvelles technologies, les buildings sans forme et tristes ont remplacé les beaux immeubles colorés. Sur les ponts, les trottoirs sont tellement hauts que les fleuves sont cachés.

 

Le quartier des M.S se dressent devant nous. Ils sont si pauvres et mal payés que les appartements y sont délabrés, ce sont quasiment des ruines. Pour payer le loyer exorbitant pour des habitations de ce style, les habitants sont obligés d’avoir affaire avec la vente de drogue ou le vol. Parfois pire pour certaines filles.

 

Wilfrid travaille dans l’usine de magnétisation que les Leaders ont installée sous Paris. L’Envoyeur, une machine de l’O.P, envoie le magnétisme dans tous les câbles souterrains de Paris. Les ondes sont évidemment nocives pour les Humains et pour la Terre, mais celle-ci est déjà détruite. L’écologie ? Plus personne ne connait. Il faut sauver sa peau avant de sauver celle de sa planète, c’est le guide de survie. L’été, la température frôle les cinquante degrés et l’hiver, elle avoisine les trente. Un jour, en Afrique en temps de grande sécheresse, des Humains sont morts.

 

La température était de soixante-quinze degrés.

 

Un brusque coup de frein me tire de ma rêverie. Nous sommes arrivés, apparemment. Je ne suis jamais allée chez Wil, et je suis franchement curieuse de voir. Il m’ouvre la portière et m’entraîne vers son immeuble dévasté. Une odeur nauséabonde se répand dans l’entrée, nous nous dépêchons de gagner son palier.

 

Son appartement est loin d’être aussi beau et bien meublé que celui de Tullia ou de ma sœur, il n’y a que trois pièces minuscules.

 

Je ne suis pas spécialement habituée à vivre dans la pauvreté mais si j’épouse Wil, nous vivrons probablement dans une habitation comme celle-ci, mon salaire d’Infirmière a beau être plus élevé, il reste modeste. Nous devrons nourrir trois personnes si nous avons un enfant, je ne m’imagine donc pas vivre dans le luxe.

 

Fais face à la réalité Agénia.

 

Il faut que je me rende à l’évidence. Je n’aurai jamais cette vie. Demain, nous nous échappons, donc deux options s’offrent à moi : se battre et mourir, ou se battre et gagner. C’est tout ou rien.

 

Je sursaute brusquement en croisant le regard de Wil, fixé sur moi depuis un moment.

 

 

- Pour…pourquoi tu me regardes comme ça ?

 

- Je me demande ce qu’il se passe dans ta tête.

 

 

Je ris nerveusement.

 

 

- Rien de spécial, crois-moi !

 

 

Il enlève sa veste avant de la jeter par terre. Elle est bientôt rejointe par sa chemise.

 

 

- Désolé, dit-il devant mon regard gêné devant cette impudeur. Il fait très chaud.

 

 

Je flâne autour du frigo en traînant des pieds avant de l’ouvrir machinalement, presque par réflexe. Je m’attends à le trouver vide, comme chez la moitié de la population, mais à ma grande surprise, il est rempli de nourriture consistante. Normalement, les gens le laisse ouvert pour laisser le froid envahir la maison.

 

Je prends une canette de Coca, cela fait des années que je n’en ai pas bu. Ce genre de marchandise est vendu à des prix exorbitants, mais pour le Chef des Rebelles, il doit y avoir des réductions.

 

 

- Je n’ai pas besoin de te dire de te mettre à l’aise, me dit-il en se plaçant derrière moi.

 

- Non, ça va.

 

 

J’ouvre la canette et la porte à ma bouche pour la boire lentement. Les bulles me brûlent d’abord la gorge, mais le goût prend vite le dessus. J’apprécie le liquide sucré en fermant les yeux tandis qu’une main habile me pique la cannette des mains. Wil boit une gorgée avant de me rendre la boisson.

 

 

- T’as pas chaud ? me demande-t-il en arquant les sourcils devant ma chemise et mon blazer.

 

 

J’enlève ma veste pour la jeter avec sa chemise. C’est vrai qu’il fait une chaleur folle, mais en dehors de ma chemise à manches courtes (les Leaders ont estimé qu’il valait mieux ne pas mettre des manches longues, Dieu merci), je ne porte que mes sous-vêtements.

 

 

- Non, ça va je n’ai pas spécialement chaud.

 

- Tu sais, je sais ce qu’est un soutien-gorge Agé.

 

 

Je rougis fortement.

 

 

- Je n’en doute pas, mais ce n’est pas une raison pour me déshabiller.

 

 

Il me fait un sourire avant de s’approcher et d’enlever un à un les boutons de ma chemise. J’hésite à l’en empêcher mais cette chaleur est inhumaine. Je garde tout de même ma chemise ouverte, ne l’enlevant pas tout de suite.

 

 

- Eh bien voilà, c’était pas si compliqué, non ?

 

 

Je bois une gorgée de Coca et me dirige vers une pièce, qui doit sûrement être sa chambre. J’y entre mais Wil reste dans la cuisine, triant un tas de papiers. Sa chambre est très petite, il y a juste l’espace  de mettre son lit deux places. Sur le mur et par terre, il y a des plans un peu partout. Sur le mur, bien que ce soit interdit (comme toute décoration dans une chambre), une photo est fixée. Je m’approche pour mieux l’observer : je reconnais une photo de la famille de Wil, il devait avoir six ou sept ans. A côté de lui, une petite fille qui lui ressemble (sa sœur je suppose) et derrière eux, leurs parents.

 

 

- Elle s’appelait Dina. Elle aurait eu ton âge cette année.

 

 

Je fais volteface. Wil a le visage grave.

 

 

- Désolé, je ne voulais pas être indiscrète.

 

- Non ce n’est pas grave, je t’en prie, fouille !

 

 

Il dit cela avec un petit sourire forcé. Je tente de ne pas poser toutes les questions qui me brûlent les lèvres mais…

 

 

- Vas-y, pose-la-moi ta question.

 

 

Il lit en moi comme dans un livre, personne ne me connaît mieux que lui.

 

Je me mords la lèvre, embarrassée.

 

 

- Eh bien…tu as perdu tes parents à six ans, et à quatorze ans, tu es parti vivre seul. Mais avec qui as-tu grandi alors ? Désolé d’être si…

 

- Je n’ai pas eu de famille d’accueil, me coupe-t-il, m’évitant ainsi des excuses embarrassantes. J’ai été recueillie et élevé par des S.D.F.

 

- Mais…mais les S.D.F ont tous été tués par les Inters, non ? dis-je un peu déboussolée.

 

- Oui mais ça ne s’est pas fait en un jour, il a fallu des années pour que les I.S nous trouvent. C’est pour ça qu’à quatorze ans j’ai décidé de me prendre un appartement. Je n’ai pas passé de test alors je me suis fait des faux-papiers en me déclarant M.S.

 

 

Je comprends alors pourquoi il déteste tant les Leaders. Ils lui ont tous pris, sa sœur, ses parents, sa maison, sa jeunesse… comme la plupart des enfants nés avant et pendant la guerre.

 

 

- Tu ne m’as pas beaucoup parlé de ton enfance toi non plus.

 

- Franchement, elle est digne d’un conte de fée par rapport à la tienne.

 

- Raconte quand même, dit-il en haussant les épaules.

 

 

Il s’allonge sur le lit et je m’assois à côté de lui.

 

 

- Eh bien, je suis la quatrième enfant d’une famille de six enfants si on compte Rodrick.

 

- Rodrick ?

 

- C’était mon grand frère, il est mort pendant la guerre, je ne me souviens pas vraiment de lui, j’avais…j’avais quatre ans.

 

 

Il me prends dans ses bras, empêchant ainsi mes larmes de s’échapper. Je me laisse faire et me love contre son torse, sur lequel je pose ma main. Il met la sienne dans mon dos avant de me prendre le visage et de m’embrasser. Mon téléphone sonne, je me sépare à regret de son étreinte pour aller répondre dans la cuisine.

 

C’est Tullia ! Je l’avais complètement oublié.

 

 

- Allo ?

 

- Agé, tout va bien ?

 

- Oui, ne t’en fais pas.

 

- Mais où es-tu ?

 

- Je suis chez Wil, il voulait…me montrer des plans pour l’évasion de demain.

 

 

Wil est appuyé sur l’encadrement de la porte, la main sur sa bouche pour s’empêcher de rire.

 

 

- Mais…tu rentres quand ?

 

- Je pense que je vais retourner dormir chez ma sœur, tu diras à ta mère que je suis partie tôt à cause de problèmes familiaux.

 

- Bon….alors d’accord….Bonne nuit ma belle.

 

- Bonne nuit.

 

 

Après avoir raccroché, je me tourne vers Wil. Il fronce les sourcils.

 

 

- Pourquoi tu veux dormir chez ta sœur ? Il y a moins d’I.S dans le quartier de Tullia, ce serait plus sûr de te ramener là-bas.

 

- J’ai une meilleure idée.

 

- Ah oui ?

 

 

Je lui lance un sourire éblouissant.

 

 

- Eh bien, je dors chez toi.

 Suite du Chapitre 5 

- Ça me va, dit-il en souriant de toutes ses dents.

- Tant mieux, tu n’as pas le choix.

 

Il s’approche et pose ses mains sur mes hanches pour poser ses lèvres sur mon cou.

 

- Les Inters m’ont tout pris, et je les hais, me murmure-t-il. Mais c’est grâce à eux que j’ai pu te rencontrer Agé, et pour ça, je leur serais éternellement reconnaissant.

 

Il me bascule soudainement dans ses bras et je ris nerveusement. Il me porte jusqu’à sa chambre avant de me déposer sur son lit et de s’allonger au-dessus de moi. Il m’embrasse fougueusement avant de glisser sa bouche vers mon cou. Je l’aime. Il remonte vers ma mâchoire et sens à souffle à mon oreille. Je l’aime tellement. Il se colle contre moi et m’entoure la nuque de ses mains. Il m’embrasse de nouveau puis pose sa tête près de moi. J’ai du mal à respirer. Nous restons immobiles pendant quelques secondes, je sens son souffle brûlant dans mon oreille. Il finit par placer lentement ses mains derrière mon dos

 

- Agénia ? me susurre-t-il.

 

J’aime quand il m’appelle par mon prénom. Je ne suis pas en train de rêver, c’est bien moi qu’il a dans ses bras.

 

- Oui ?

- Je crois que je commence à perdre le contrôle.

 

Il dépose un baiser sur mon ventre, ses mains se replacent derrière mon dos et touchent du bout des doigts mon soutien-gorge. Je l’arrête brusquement, je ne veux pas qu’il l’enlève.

 

- Désolé, s’excuse-t-il.

 

Je reste silencieuse et immobile. Je ne veux pas parler, j’ai peur qu’on s’arrête là et qu’il me quitte pour quelque chose de plus important. Il met ses mains sur mes hanches et me bascule sur le côté : je suis maintenant au-dessus de lui.

 

- Voilà. Ça me parait plus équitable.

 

Je ris et me penche vers ses lèvres, avide.

 

- Mais je vais devoir te laisser.

 

Je m’arrête net.

 

- Pourquoi ?

 

Je n’ai pas envie qu’il s’en aille.

 

- J’ai encore de la paperasse.

- C’est important ?

- Oui.

 

Je lui fais une moue boudeuse.

 

- Plus que moi ?

- Si tu veux sortir de Paris vivante, oui.

 

Il m’embrasse sur le front et me laisse seule dans son lit défait. Je plonge sous les couvertures et me blottis contre un oreiller, malgré la chaleur étouffante. Demain est un grand jour. Pour certain, c’est le jour des vacances des Leaders (vacance scolaire faite pour honorer les Leaders) mais pour moi, demain signifie la liberté, le jour où je vais tenter de me battre pour mon monde, ma dimension. J’ai peur, pour tellement de raisons à la fois. J’ai peur de mourir, cela me parait légitime. C’est humain de craindre la mort. J’ai aussi peur de l’inconnu, de ce qu’il y a derrière la Clôture. Wil nous a dit de ne pas s’en préoccuper mais comment ne pas y penser ? Comment se nourrir, boire et dormir ? Il n’y a pas plus de pilules que de vraie nourriture à mon avis. J’ai une totale confiance en Wil, mais je n’arrive pas à trouver le sommeil, je suis trop anxieuse.

Je n’aime pas garder mes questions pour moi et l’homme de toutes les réponses est juste à côté…

 

- Wil ?

- Humm…

- On fera quoi une fois de l’autre côté ?

 

Je suis debout et j’entre dans la cuisine. Il me regarde, surpris. Il devait penser que je dormais déjà.

 

- Fais-moi confiance, c’est la seule chose que je te demande.

- J’ai horreur des secrets….

 

Il soupire et tire une chaise à côté de la sienne.

 

- Si tu veux tant savoir, regarde par toi-même.

 

Je me presse sur les papiers avant qu’il ne change d’avis. Je les étudie attentivement, mais je ne comprends pas les inscriptions : tout est codé, des symboles inconnus, des chiffres, des lettres… Je regarde Wil, sa tête est plongée dans des documents mais même sans me regarder, il devine que je n’y comprends rien. Il sourit malicieusement. Je soupire et attrape un autre papier au hasard : ce sont des livraisons datant de 2013, avant la Guerre de Soumission.

 

- Pourquoi tu gardes des trucs aussi vieux ?

 

Il me fait enfin face et jette un coup d’œil aux documents que je tiens.

 

- Je regarde des trucs dessus.

- Des trucs ?

 

Je sais que ma curiosité l’agace mais je lui lance tout de même un regard insistant.

 

- Bon, j’imagine que tu ne vas pas me lâcher avant que je ne te réponde.

- Tu as tout compris.

 

Il m’embrasse distraitement.

 

- Vas te coucher.

 

Je ris.

 

- Tu sais, mes parents n’ont jamais réussi à me faire aller au lit tôt, malgré le couvre-feu. Donc tu ne vas pas y réussir, après seize ans de rébellion contre mon sommeil.

 

Il me dépose un nouveau baiser sur mes lèvres, sans raison particulière.

 

- Très bien… Tu te souviens, avant que je sois le Chef des Rebelles, un autre homme dirigeait notre clan. Quand tu es devenue une Rebelle, c’était ma première année en tant que Chef. Bref, cet homme m’a laissé les commandes car il partait de Paris (c’est le premier à avoir réussi cet exploit) pour construire le Camp, avec des Rebelles Allemands. C’est un immense repère souterrain, au milieu de maisons de campagne détruites pendant la guerre. Depuis, des Rebelles de toute la France viennent régulièrement en renfort et Berlin leur fournit des ravitaillements.

- Berlin ? Ce serait donc la seule ville au monde sans le contrôle des Leaders ?

 

Il hoche lentement la tête. Je suis sous le choc.

 

- Ils bombardent sans cesse les troupes des Inters mais je ne sais pas combien de temps ils vont tenir. Les bombes mettent du temps à se construire mais se perdent rapidement, les matériaux vont manquer. Et pour tous ces vieux papiers, c’est en réalité des….disons des « listes de course » qu’on donne à la ville. Celui que tu tiens, c’est une copie de la confirmation que j’ai envoyé. C’est-à-dire, m’explique-t-il avec patience devant mon regard perdu, la confirmation que notre commande est arrivée. J’ai changé la date pour que les Leaders ne se doutent de rien lors de l’envoi.

Je le regarde avec un mélange d’admiration et de soulagement. Tout est planifié par notre Chef, je suis rassurée.

Je reste silencieuse et le regarde travailler.

 

- Bon, je vais être gentille et aller me coucher. Mais j’ai d’autres questions, dis-je devant son air satisfait.

- Humm…. Je te rejoins dans quelques minutes.

 

Il m’embrasse sur le front et retourne à ses papiers. Je le contemple une dernière fois et me dirige vers sa chambre. Je m’écroule sur le lit en cherchant désespérément le sommeil.

N’ai pas peur, demain tout ira bien. Fais confiance à Wil et aux autres.

 

 


15/11/2014
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Chapitre 4

Chapitre 4

En me rendant à la réunion avec Tullia, je ne peux m’empêcher de regarder tout autour de moi dans l’espoir de repérer mes frères, même si les chances de les apercevoir sont maigres. Dès mon entrée dans la salle, tous les regards sont braqués sur moi. Je n’en connais pas la cause. Peut-être sont-ils au courant pour mes frères, ou peut-être ont-ils encore de la pitié pour la mort de mes parents ? Comme à chaque fois, je m’assieds aux côtés de Wil, il me sourit. Cela fait maintenant quatre jours que l’on ne s’est pas retrouvés seul à seul. Nous nous sommes déjà éloignés durant un mois entier, mais un mois ou quatre jours ne font aucune différence. Il me manque…

 

- Bonjour tout le monde, commence-t-il d’une voix forte. Je viens vous remonter le moral ! Je sais que certaines personnes commencent à baisser les bras, désespèrent, voir abandonnent, décidant que nous avons perdu d’avance ! Mais j’ai une bonne nouvelle pour vous tous. Nous pouvons encore nous battre, pour récupérer notre dimension !

 

Tout le monde semble avoir retrouvé le moral. Un grand « Oui ! » se fait entendre, les poings sont levés, le mien y compris. Wilfrid lève la main sèchement, ce qui a le don de calmer toute nos troupes. Je me demande ce que l’on ressent devant une telle soumission…

 

- Hier soir, Aysun ici présente (il me désigne) m‘a informé de la survie de ses frères, dont Hermond Aysun, qui a découvert une arme anti-Inter. Nous devons le retrouver !

 

Je m’agite, mal à l’aise. Devoir retrouver mon frère uniquement pour ce qu’il sait me dérange, mais je sais que Wil doit être impartial pour ne pas montrer ses sentiments.

 

- Bien, bien, dit-il pour dissiper l’agitation. J’ai une autre bonne nouvelle. J’ai un plan d’attaque parfait et infaillible.

 

J’ai cru qu’il allait parler de Tyson.

Wilfrid déplie une carte de France sur la table et continue :

 

- Après avoir trouvé Hermond, il restera tout de même un problème…

- Un détecteur a réussi à repérer l’arme.

 

Je n’ai pas pu me retenir.

 

- Tout à fait Aysun. J’ai bien réfléchis, et comme vous le savez, toutes les grandes villes sont sous le contrôle des Leaders, et toutes les campagnes sont en cendre, plus personne ne vit dans ces endroits.

 

Je n’ai quitté Paris qu’une seule fois, lors d’une sortie scolaire et je dois dire qu’effectivement, tout est détruit. Il n’y a que des trous profonds à cause des bombes, des cadavres et des maisons inhabitables.

 

- Si nous arrivons à s’échapper de la ville et si nous nous éloignons suffisamment, les radars ne nous repérerons pas. Je ne pense pas que les Inters surveillent tous le territoire.

- Sortir d’ici est impossible, intervient un homme qui frise la trentaine.

Il est vrai que les frontières de Paris sont extrêmement bien gardées, il y a une masse considérable d’I.S et un gigantesque mur électrique.

- Difficile, certes. Mais pas impossible, répond Wil. Nous ne sortirons pas tous ensemble, beaucoup ne passerons pas. Sachez qu’une fois sortie, nous ne pourrons rentrer qu’en cas de victoire donc réfléchissez bien avant de vous engager. Pensez-y au calme et je prendrai les volontaires dans deux jours. Mais avant tout cela, revenons à Hermond. Je pense que l’on va patrouiller dans toute la ville par groupe de deux maximums. Pas besoin de fouiller tous Paris, Hermond est loin d’être idiot, il est sûrement dans une excellente cachette.

 

Les recherches se mettent en place, mais je n’en fait pas partie. Je dois vite retourner chez Anya avant qu’elle ne remarque ma disparition (les Inters ont refusé ma demande, malgré mes supplications).

 

- Bonne nuit mon ange, me souffle discrètement Wil au moment où je me lève.

Je le regarde avec tendresse. Je veux qu’il comprenne que je l’aime. J’ai tellement envie de l’embrasser… Mais je me reprends, nous ne sommes pas seuls

Je lui lance un dernier regard avant de sortir avec discrétion. Je cours vers la sortie, traverse le parc et escalade le grillage. Je retombe de l’autre côté.

- Attends !

- Tullia ! dis-je à voix basse. Parle moins fort !

 

Je la vois courir à travers le grillage. Quelques secondes plus tard, elle retombe avec grâce à côté de moi.

 

- Excuse-moi, mais tu aurais pu m’attendre !

 

Non, je me serais sûrement ruée sur la bouche de mon grand amour. Mais bref, passons.

 

- Désolé. On y va ?

 

Elle grimace.

 

- En fait, je suis venue te dire que je rentre avec Max.

 

Max par-ci, Max par-là ! Il n’y en a que pour lui ! Mais je dois me comporter en adulte, mon attitude est immature.

C’est pour cela que j’affiche un grand sourire et lui dis :

 

- Pas de problème !

 

Je lui fais un signe de la main avant de partir. Je cours pour arriver au métro mais constate avec horreur que je l’ai raté, merde ! Je pousse un long et profond soupir, je vais devoir rentrer à pied. Je cours dans les rues abandonnées. Au bout d’un moment, je m’arrête pour reprendre mon souffle.

 

- Tu ne devrais pas traîner là, petite !

 

Je déglutis difficilement et sens l’arme de l’I.S dans mon dos.

Oh non.

 

- Heu…oui, je…

- Ne cherche pas des excuses ! A genoux, les mains dans le dos !

 

J’hésite, je ne veux pas me faire dominer.

 

- TOUT DE SUITE ! beugle-t-il.

 

J’obéis finalement, la tête haute. Je suis parfaitement consciente que je suis seule face à un I.S armé, et qu’il pourrait appeler des renforts, voir un hélicoptère. Je commence à trembler.

 

- T’es une Rebelle ? me crache-t-il comme une insulte.

 

Oui, oui monsieur l’I.S, pouvez-vous me tuer, là tout de suite ?

Honnêtement, qui a déjà répondu oui ?

 

- Bien sûr que non !

 

Il n’a pas l’air convaincu.

 

- Peu importe, t’es dehors alors que c’est le couvre-feu ! C’est le même tarif !

 

Agé, il va te tuer ! Il faut que tu fuis ! Je réfléchie à toute allure, mais rien ne vient. En clair, je suis foutue. Heureusement que Tullia n’est pas venue au moins, sa vie sera sauve. Je prends une grande inspiration. Je ne pleurerai pas face à la mort !

J’entends un coup de feu mais je ne sens rien. J’ouvre un œil et constate avec surprise que je respire. Je suis en vie. Je me relève et me retourne. Le corps de l’I.S est étendu au sol, du sang coule le long de son visage. Mais ce qui me stupéfie le plus, c’est la personne qui se tient derrière.

 

- Tyson ? je demande timidement.

 

Il s’avance vers moi.

 

- Tu vas bien ?

 

Je regarde le corps.

 

- Il…il est mort ?

 

Il me dévisage, surpris.

 

- Oui, je ne pense pas qu’il puisse survivre à cette balle.

 

Je tremble.

 

- Mais…c’est un Inter.

 

Je regarde successivement son arme et son visage. Un petit revolver.

Qui a tué un Inter.

Je n’ai jamais vu un Inter mourir. Jamais. Je ressens une succession d’émotions, mais aucune n’est négative Il est mort, MORT ! Ils peuvent bel et bien mourir ! Je sers Tyson dans mes bras.

 

- Il est mort !

 

Mais prise dans mon élan, je réalise mon erreur Tyson est un Inter lui aussi. Je m’écarte brusquement pour observer sa réaction. Il sourit, alors que je suis heureuse qu’un des siens soit mort.

 

- Je pense qu’il est grand temps que je te ramène. rajoute-t-il avec un sourire.

 

Je hoche la tête et me dirige vers la voiture de mon sauveur, mais ce n’est pas la même que la dernière fois. Celle-ci est noire, on dirait un fourgon. Je préférais la grise. Je monte et attache ma ceinture, Tyson fait de même et je ne peux pas m’empêcher de penser à Wilfrid. Il démarre et nous roulons en silence jusqu’à l’appartement de ma sœur. Je repense aux évènements puis tout à coup, je me demande, pourquoi m’a-t-il sauvé ? J’étais hors-la-loi pourtant. Quelque chose cloche… Je le regarde fixement et il s’en rend compte.

 

- Pourquoi me regardes-tu ?

- Je ne comprends pas.

 

Il me regarde et souris.

 

- Et puis-je savoir pourquoi ?

 

Je ne réponds pas tout de suite et me concentre sur la route. Il fait de même. Je finis par lui dire :

 

- Tu le sais très bien.

 

C’est vrai, il doit forcément savoir. Mon évanouissement suspect, et maintenant ça.

 

- Oui en effet, je le sais.

- Tu vas me dénoncer.

 

Ce n’est certainement pas une question, mais cela semble amusant à ses yeux.

 

- Je viens de te sauver la vie, ce serait idiot de te mener vers une mort certaine juste après.

 

Nous sommes devant l’appartement, mais aucun de nous ne fais un geste.

 

- Nous sommes dans des camps adverses, tu le sais très bien. Alors pourquoi tu fais ça ?

 

Il ne répond pas (cela devient agaçant, cette manie de ne jamais répondre) et sors du véhicule pour m’ouvrir. Je descends et reste plantée devant lui, les poings sur les hanches.

 

- Tu vas rentrer comment sans te faire repérer par les caméras ?

 

Répondre à une question par une autre…Je connais moi aussi.

 

- Tu ferais comment toi ?

 

Il rit de nouveau.

 

- Je désactive le courant et je rentre en vitesse avant qu’il ne revienne.

- Et tu fais comment ?

- Avec le groupe magnétique caché sous une fausse plaque d’égout.

 

Je lui fais un clin d’œil. Il n’est pas très malin.

 

- Merci !

 

Il comprend qu’il s’est fait avoir. Je le salut moqueusement et me dirige vers la plaque que j’avais déjà repéré. Je la soulève avec difficulté et parviens au groupe magnétique. L’électricité a depuis longtemps été remplacée par le magnétisme. Le fonctionnement est très complexe, difficile de vraiment expliquer. Disons que deux ondes éloignées s’attirent tellement entre elles qu’elles produisent une sorte d’énergie.

Je place mon bracelet avec mon aimant par-dessus près du groupe. J’entends un petit bruit sec, je pense que c’est bon. L’énergie magnétique est très sensible. Je retourne rapidement vers la porte avant que le courant ne revienne. L’ascenseur ne marche évidemment plus, je cours donc vers les escaliers et les gravis un par un. Par chance, tout le monde dort, le couvre-feu a bien fait son travail. Je rentre discrètement dans l’appartement sans avoir besoin de montrer la clé magnétique. Je vais dans ma chambre et me dirige machinalement vers la fenêtre. Tyson et encore appuyé contre sa voiture et regarde ma fenêtre. Mon cœur s’accélère. Je me couche sans même lui adresser un signe. L’image de l’I.S surgit dans ma tête.

Et elle me réchauffe le cœur.

 

 


08/11/2014
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Chapitre 3

Chapitre 3

Comment fait-on pour s’enfuir d’ici ? Telle est la question que je me pose nuit et jour. Je n’aime pas me sentir piégée.
Mais l’appartement de ma sœur est une cage dont je ne peux pas me libérer.
Je me tourmente en essayant de trouver une solution mais au fond de moi, je sais que je m’occupe l’esprit uniquement pour ne pas pleurer. Ne pas penser à eux. Comment la vie peut-elle me faire cela en si peu de temps ? Je n’ai plus de parents, plus de frères et je vis dans un appartement dégoulinant de technologie et de modernité. Mais maintenant je suis sûre d’une chose : il existe bel et bien une arme pour tuer les Inters. Hermond a trouvé un objet qui peut changer le monde. 
Je regarde pensivement le mur en face de moi, quand un bruit me tire de mes songes.


- Entre ! dis-je à voix haute à ma sœur.


Celle-ci passe sa tête dans l’entrebâillement de la porte


- Bonjour ! Tu es déjà réveillée ? J’ai entendu du bruit…


Je suis réveillée depuis deux jours. Je n’ai pas dormi.


- Oui, je me lève tôt le matin.


Elle entre. Son visage un peu rond contrairement au mien, est bien maquillé. Elle est habillée et coiffée d’un chignon serré. Aucune mèche blonde ne dépasse. Je l’observe silencieusement et note nos multiples différences. Mes cheveux sont noirs, les siens sont blonds. Ses yeux sont bleus comme le ciel, les miens sont gris comme de la pierre. Elle a les lèvres fines, les miennes sont pulpeuses…
Elle reprend la parole en souriant.


- Je me souviens de tes paresses matinales. Cela a changé.


Elle regarde autour d’elle, pensive, puis finit par reporter son attention sur moi. Elle me fait un grand sourire.

Je pense qu’elle est heureuse que je sois ici, mais ce n’est pas réciproque. Je ne vois en elle qu’une traître. Elle, qui à seulement dix-huit ans rejoignait les Leaders et moi, à quatorze ans, rejoignais les Rebelles. Je ne regrette rien. Nous avons pris deux voies différentes.
Nous sommes différentes.
Je me souviens de l’angoisse qui me prenait dès que je la voyais. Je craignais qu’elle ne découvre mon secret et qu’elle me dénonce. Même si cette peur s’est dissipée, je la ressens toujours au fond de moi…
Devant le silence gênant qui s’installe, je me dirige à grandes enjambées vers le salon pour avaler mes comprimés. La nutrition, l’hydratation et enfin, un antidépresseur.
Un cadeau des Leaders.
C’est un comprimé réservé aux Inters mais ma sœur m’en a demandé, au cas où. Ils ne servent strictement à rien… 
Je m’assieds et vois Vilma arriver vers moi, Anya sur ses talons. Elle me considère avec le même regard peiné qui ne quitte plus ses jolis yeux. Anya a dû lui expliquer la situation et la voir souffrir est affreusement douloureux… 
Elle me prend la main et me dit d’une voix plus animée que d’habitude :

 

- Eh ! Tu sais quel jour on est Agé ?


Oui, bien sûr. Le jour du Bal. Comment pourrai-je oublier ? Je n’ai aucunement l’envie d’y aller, je préfèrerais rester ici et trouver une solution pour rejoindre les autres. Après la mort de mes parents, j’ai prétexté vouloir dormir chez Tullia pour pouvoir assister à la réunion, mais je ne peux pas faire ça à chaque fois.


- Oui, je sais, je réponds à Vilma avec le peu d’entrain qui me reste. Aujourd’hui, je vais rencontrer mon prince charmant.


Ces mots m’arrachent les lèvres, mais cela à l’air de faire plaisir à ma petite sœur. Celle-ci esquisse un petit sourire.


- Tout à fait, et tu dois être la plus belle ! On te préparera avec Anya cet après-midi.


Elle adresse un clin d’œil complice à notre grande sœur, puis sort précipitamment de table pour aller dans sa chambre. Anya la regarde s’éloigner, puis se tourne vers moi et me dit sérieusement :


- Agé, n’oublie pas que l’on doit garder secret la mort de papa et maman pour le bien de notre société. Si les gens venaient à apprendre ce tragique évènement, les Leaders seraient vus d’un mauvais œil.


Je l’observe, mes yeux remplis de haine. J’essaie de garder pour moi ce que je pense, mais entendre cela me révolte. Comment ose-t-elle dire cela de sa propre famille ? Pourquoi fait-elle passer l’image des Leaders avant tout le reste ? Elle me dégoûte… Je frappe mon poing sur la table plus fort que je ne l’espérais. Elle sursaute.


- Et alors ? N’est-ce pas la vraie image des Leaders, Anya ? 


Ma sœur me regarde d’un œil sévère et me dit sèchement :


- Agé, tu sais très bien qu’ils n’avaient pas le choix ! Hermond a fabriqué une arme dangereuse pour la société et le bien de la population ! Parfois, il faut sacrifier quelques personnes pour en sauver une centaine !


Je suis outrée. Comment ma sœur peut appeler des sacrifices une série de meurtres odieux ? C’est exactement le genre de discours que tiendrait un Leader d’Or. Le slogan d’Olaf Ganecha est justement « Il faut parfois sacrifier des vies pour que la perfection reste ». Quelle perfection ? Ce type se prend pour l’incarnation de l’espèce idéale. Mais tuer des personnes innocentes est loin d’être respectable. 


- Et Dain ? Et papa ? Et maman ! je continue de hurler.
- C’était dangereux, siffle-t-elle enter ses dents.


Je reste sans voix. Elle quitte rageusement la pièce, me laissant seule dans mes pensées.

*******************

Après trois heures de préparation intense, mes sœurs ont enfin fini de me transformer.


- Waouh ! s’exclame Anya. Agénia, tu es superbe !


Je me tourne vers le miroir pour me contempler. Mes longs cheveux sont attachés en une natte et ma robe bustier bleue me va plutôt bien, je dois dire. Elle n’a qu’une seule bretelle épaisse sur mon épaule droite. Le tissu descend jusqu’à mes pieds, où des petits papillons en perles violettes voltigent. On jurerait qu’ils pourraient s’envoler. Nous n’avons pas le droit au maquillage mais Anya à quand même su camoufler mes cernes. 
J’ai presque l’air d’avoir bonne mine.


- Merci Anya, la robe est magnifique.


Vilma me regarde, des étoiles plein les yeux. Elle tripote sa jolie robe rose.


- J’aimerai tellement être comme toi plus tard, soupire-t-elle.


Je lui fais un grand sourire. Elle paraît déjà plus heureuse, ses joues se colorent peu à peu.


- Bon, dit finalement Anya. Maintenant que j’ai joué les bonnes fées, je file me préparer !


Elle parcourt la salle, nous laissant seules. Je m’assieds près de Vilma.


- Tu me raconteras, hein ? me demande-t-elle tristement.


Je hausse les épaules et lui réponds :


- Bien sûr ! Mais, si tu veux mon avis, ça doit être ennuyant.
- Mais tu vas rencontrer ton prince ! s’exclame-t-elle. Et vous danserez ensemble et il te demandera en mariage et tu diras oui et vous aurez des enfants !


Elle fait une pause pour reprendre sa respiration.


- Dis, reprend-t-elle doucement. Je pourrai venir dans ton château ?


Je ris devant son air enjoué. Je lui explique tendrement :


- Sans vouloir briser tes rêves, cela ne se passe pas toujours comme ça. Il faut que le garçon me plaise d’abord ! Ensuite, je pourrai le revoir plusieurs fois et si l’on s’aime vraiment, alors oui, je pense que l‘on pourra se marier.


Devant son air ravi, je ne peux que regretter mes paroles. Désormais, si nous n’avons pas de mari à dix-neuf ans, les Leaders choisissent pour nous. Pour ne pas avoir de conjoint, il faut envoyer une demande aux Leaders 7, qui s’occupent des relations entre les citoyens.
Chaque Leader a une fonction spéciale : Les Leaders 10 s’occupent des plaintes humaines (mais elles sont systématiquement refusées), les Leaders 9 gèrent les comprimés (leur production et leur distribution) les 8, les plaintes de Inters (même s’ils ne se plaignent pratiquement jamais). Les 6 recensent les arrivées des nouveaux Inters venant de la D.O.P à Paris. Les Leaders 5, le secteur de ma sœur, gèrent les I.S et les caméras de la ville et les 4, les naissances. Les 3 sont des scientifiques, mais leurs travaux sont un peu secrets. Personne ne sait ce qu’ils font. Les 2 s’occupent des armes en provenance de la D.O.P, comme le gaz R et pour finir, les Leaders 1 ont l’immense privilège de s’occuper des exécutions. 
Autant vous dire qu’ils ont pas mal de travail. 
Les Leaders d’Or élaborent les lois mais ils ne sont que trois, alors ils sont aidés par les Leaders d’Argent, à New York (Cynthia Colby, Cody Alan et Maxwell Aslan).
Je remarque que Vilma me parle.


- …ne pourrait pas te plaire ? C’est un Leader ! Et en plus, ce n’est certainement pas un 10 d’après Anya…


Pourquoi ne peut-elle pas avoir des conversations de petite fille ? Elle parle de Leaders et de classe sociale, alors qu’elle n’a que cinq ans ! Je n’ai pas le temps de lui répliquer quoique ce soit car Anya sort de la salle de bain. Elle porte une longue robe bustier couverte de paillettes. Des fins voiles blancs lui fendent la jambe et ses cheveux sont relevés dans un chignon compliqué.


- Alors, dit-elle un peu anxieuse. Vous me trouvez comment ?
- Magnifique, je réponds franchement.


Elle rosit de plaisir.


- Bon, le taxi doit nous attendre en bas.


Mon ventre se serre. J’ai très peur de ce qu’il va se passer. En plus de rencontrer une personne que je suis sûre de haïr, Wilfrid et les autres Rebelles vont pénétrer dans la Pointe Noire. Nous descendons l’immeuble pour nous engouffrer dans une voiture de couleur sombre. Nous arrivons rapidement. J’aide Vilma à sortir, qui, dans son élan, à manquer de trébucher. J’arrive devant la Pointe Noire, tout le monde porte des robes ou des costumes. Je cherche du regard mes amis, Tullia, Rouna, Drake ou Julien, mais il y a trop de monde. La famille de l’amie de Vilma est là. Ils ne vont pas participer au Bal, seulement au Recensement : ils s’occuperont de ma sœur. Nous disons au revoir à Vilma, puis nous entrons. Anya va directement vers la salle du Recensement. Je la suis dans la file d’attente. Nous attendons une demi-heure dans le silence avant de finalement passer. Anya passe son bracelet dans la machine. Aucune donnée négative ne sort. Je prie chaque année pour qu’il n’y ait aucun problème de mon côté. Je passe mon bracelet à mon tour, la main tremblante. Je soupire devant le manque de réaction de la machine. Rien. Quel soulagement ! Je ne mourrai pas à ce Bal ! Mais on ne sait jamais…


- C’est maintenant que ça devient intéressant ! s’exclame joyeusement Anya.


Elle s’élance dans la salle de Bal, et je la suis nerveusement. C’est exactement comme me l’avais décrit Hermond. La salle est immense, remplie de lumière. Un grand escalier se situe au fond de la pièce pour pouvoir accéder aux ascenseurs menant au reste de la Pointe. La couleur or domine toutes les autres. Les lustres, les couverts, les murs… Presque tout sauf le sol, qui est d’un rouge éclatant et les escaliers. J’aimerai tellement que mon frère soit là… Une larme coule tout doucement le long de ma joue. Je l’enlève d’un revers de main, en essayant de paraitre indifférente. Anya disparait dans la foule et je m’efforce de la rattraper. Je la retrouve devant un attroupement de personnes, qui je pense, sont toutes des Leaders.
Anya me fait un sourire encourageant et me présente.


- Alors…Agé, je te présente Laura, une 4 et Jay, un 6. Ici tu as Ise, une 3 et enfin Camerone, un 5.
- Enchanté Agénia, nous avons beaucoup entendu parler de toi, me dit Ise en me tendant la main.


Je la lui serre machinalement en grommelant un vague « Ah bon… ».
Je les regarde s’esclaffer. Je ne les aime pas du tout. Il y a très peu d’Humains qui deviennent des Leaders, la plupart sont des Inters.


- Vous savez où est Tyson ? demande ma sœur en scrutant la foule.
- Oui, il est là-bas, répond Camerone en désignant la rambarde des escaliers.


Ma sœur me prend la main et me dirige vers l’endroit indiqué.


- Bonjour Tyson ! s’écrie ma sœur en se plantant derrière un grand brun.


Le type se retourne.
Et mon cœur s’arrête de battre.

Ses yeux d’un bleu profond contemplent ma sœur avec amusement. Sa légère barbe est coupée à ras le long de sa mâchoire carrée. Ses cheveux ne sont ni décoiffés, ni bien peignés. Il esquisse un sourire si léger que je pense avoir rêvé.
Sa beauté est à couper le souffle, mais je reconnaîtrais ce visage entre mille.


- Bonjour Anya, commence-t-il d’une voix grave. Comment vas-tu, tout se passe bien ?


Son ton est posé, calme et poli. Il observe ma sœur, semblant avaler chaque parole qu’elle s’apprête à dire.


- Oui, je te remercie, tout est parfait !


Je ne l’ai jamais vu aussi peu sérieuse. Elle semble sortir doucement de son agitation et se rappelle de ma présence.


- Je te présente ma petite sœur, Agénia.


Elle me pousse gentiment vers lui, comme une mère qui présente son enfant à un étranger. Le regard de cet inconnu, qui jusque-là ne m’avait porté aucun intérêt, se pose sur moi.

 

- Enchanté Agénia, je suis Tyson Ganecha.


Il me tend la main avec un sourire discret. Je la regarde fixement. Je m’en doutais.
Il est bien le fils d’Olaf, de cette ordure.
Je l’ai déjà vu faire des apparitions publiques en compagnie de son père. Je le fixe avec tellement de dégoût que cela devient presque impoli. Mais il ne se départ pas de son sourire.


- Bonjour, dis-je d’un ton que je veux réfrigérant. 


Nous nous regardons pendant un moment. Lui avec curiosité, moi avec défi. Je ne le quitte pas des yeux, je n’ai pas envie de détourner le regard la première. Je sens que ma sœur nous observe d’un air inquiet.
Elle rompt le silence d’un bredouillement confus.


- Heu… Bon… Agé, je te laisse avec Tyson. Viens me voir quand tu voudras…. partir.
Et elle s’éloigne d’une démarche peu assurée. 
- Alors, quel âge avez-vous ?


Je trésaille. Je ne m’attendais pas à ce qu’il m’adresse la parole, vu la façon dont je l’ai accueilli.


- J’ai seize ans, je marmonne.
- Donc c’est votre premier bal.


Ce n’était pas vraiment une question, mais je hoche la tête.


- Et apparemment, continue-t-il. Votre sœur veut que vous le passiez en ma compagnie.


Je rougis légèrement, sans trop en connaître la raison.


- Oui, ma sœur m’a trop souvent parlé de vous.


Quelle idiote ! Je ne sais vraiment pas pourquoi je lui parle.
Mais à ma grande surprise, il éclate de rire avant de retourner dans la contemplation de mes yeux.


- Je peux dire la même chose.


Je ris nerveusement à mon tour avant de m’arrêter brusquement. Ce n’était même pas amusant ! Je suis en train de pactiser avec mon pire ennemi. Il a tué ma famille.
Non, je ne dois pas rester près de lui, il est dangereux.
Alors que je m’apprête à lui fausser compagnie, une jeune fille accompagnée d’un garçon robuste s’approchent de nous.
Ce sont Arma Judisa et Léon Hemine, les enfants des autres Leaders d’Or. 


- Salut Ty, lance la fille.


Puis sa tête pivote dans ma direction. Elle affiche un air étrange, comme si cela lui faisait plaisir de me voir. Je ne vois pas pourquoi, on ne se connaît même pas.


- C’est qui ?


La question a fusé de la bouche de Léon, et je dois dire que je n’aime pas le ton qu’il a employé.


- Agénia Aysun, la sœur d’Anya Aysun, répond Tyson.


Je suis parfaitement capable de me présenter ! Pour qui se prend-t-il ?


- Je suis enchantée Agénia, me dit Arma d’un air ravi. Tu es d’une beauté éblouissante !
- Heu… Merci, toi aussi…


Je suppose que je peux la tutoyer si elle en fait de même. Elle est tellement enthousiaste que je me demande si cela n’est pas forcé. Ce n’est pas le cas de Léon qui n’a pas l’air de me porter dans son cœur.


- Tu es une Humaine je suppose, me crache-t-il.


Il n’aurait jamais dû dire cela. Je me sens insultée, je bouillonne de rage. Je suis fière d’être Humaine, et je préfèrerais mourir plutôt que de rejoindre sa race à lui ! Mais au lieu de m’énerver et de lui lancer tout ce que j’ai sur le cœur, comme j’en rêve, je lui fais un grand sourire.


- Oui, c’est exact et c’est une de mes plus grandes fiertés ! dis-je d’un ton jovial.


Alors évidemment, être heureuse d’être une Humaine n’est pas vraiment bien vu. Les Humains sont inférieurs au Inters, donc ce n’était pas vraiment une bonne idée de crier tout haut que j’assumais mes origines. Et au vu de leurs mines ébahies, je ne suis pas la seule à penser cela… Arma se ressaisit rapidement.


- Heu… nous allons retourner vers les Leaders. Tu viens Tyson ?


Elle lui demande d’un ton empressé.


- Non, merci. Je n’ai pas envie de voir mon père après… tu sais…, dit-il en baissant la voix.


Il lui murmure rapidement les détails de son motif et je peux entendre quelques bribes, comme « dispute » ou « borné ».
Je regarde ailleurs pour ne rien en laisser paraître. Les futurs Leaders partent nous laissant seuls, Léon se retourne pour me dévisager d’un air de mépris, mais Arma lui donne un coup de coude. Je détourne vivement la tête, les joues rouges de gêne et de colère. Tyson me sourit malicieusement.


- Pourquoi souriez-vous ? je demande un peu sèchement.
- Votre sœur a bien raison, vous êtes culottée !
- Pourquoi pensez-vous cela de moi ?


Il réfléchit un instant, les yeux en l’air avant de me sortir d’un air conspirateur :


- Je ne connais qu’une poignée de personnes qui accepterait d’être fière d’être Humaine. Et seulement deux ou trois qui le crieraient sur tous les toits. Et le dire devant les enfants des Leaders d’Or ! Je vous tire ma révérence ! 


Il fait mine de se baisser pour mimer une courbette. Je le regarde étrangement.


- Vous ne devez pas être neutre vis-à-vis de cette société si vous vous opposez à votre père vous aussi.


Cela est très impoli, je dois l’avouer. Je me trahis en lui montrant que j’ai écouté leur conversation, mais peu importe, au point où j’en suis, tout me passe à côté. Il n’a pas l’air d’être touché par mon manque de savoir-vivre et esquisse un nouveau sourire.


- Est-ce que cela vous tente de monter sur le balcon ?


Je suis un peu déboussolée par ce changement de conversation. 
Je me demande même s’il m’a vraiment écouté.


- Heu… oui, si vous voulez, je réponds machinalement, la tête dans mes pensées.
Avant même de me rendre compte de ce que j’ai pu répondre, il m’a déjà emmené au niveau des escaliers. Il m’entraîne par le bras (quand me l’a-t-il agrippé ?) et nous gravissons les marches une à une.


Arrivés au sommet, nous contemplons les invités du Bal. Toutes ces couleurs, toutes ces étincelles ! Je suis émerveillée pendant un instant. La plupart des gens ne dansent pas, ils sont tous attroupés autours d’un buffet. Je ne sais pas vraiment ce qu’il y a, je n’ai pas mangé de vraie nourriture depuis le 6 mai, le jour de la Cérémonie de la Gloire. C’est une…. « fête » où nous portons tous un pantalon et un haut noirs en nous agenouillant devant les Leaders en répétant « Gloire aux Leaders » sur l’hymne, comme des zombies.
Cette nourriture me fait de l’œil ! J’ai envie de fausser compagnie pour la deuxième fois de la soirée à mon compagnon. Mais il le remarque et appelle un I.S planté devant les ascenseurs.


- Pouvez-vous nous apportez un plateau de nourriture ?
- Tout de suite Monsieur Ganecha.


L’I.S sort un appareil qui ressemble vaguement à un talkie-walkie et lance des ordres à son interlocuteur. Il nous lance un bref signe de tête avant de retourner à son poste. 
Quelques minutes plus tard, un serveur avec un plateau rempli de petits fours arrive dans notre direction. Je prends un petit canapé au jambon et au beurre. Une merveille de la simplicité. Toutes les saveurs explosent dans ma bouche, je ne me souvenais pas que cela avait un goût si bon. Tyson m’observe m’émerveiller avec un petit sourire moqueur avant de commander une coupe de champagne. J’en fais de même.


- Vous pouvez boire de l’alcool ? s’inquiète-t-il.
- Tant que vous ne le dites à personne, dis-je simplement en haussant les épaules.


Wil m’a déjà fait goûter de la bière et j’ai bien aimé. Ganecha réfléchit quelques secondes avant de confirmer la commande. Une fois nos verres à la main, le serveur s’éloigne, l’air terrifié. Les pilules nutritives ont remplacées les restaurants et les cuisiniers, donc les serveurs sont devenus des M.S. Je l’oublie rapidement avant de retourner à mon verre. Je bois une gorgée. J’aime bien le goût acide de la boisson.


- Vous aimez ?
- Oui, ce n’est pas trop mal.


Nous échangeons un sourire complice, mais je me rends bientôt compte de mon erreur. Pourquoi je me montre sympathique envers lui ? Il me terrifie et me remplit de haine, je ne devrais pas être aussi courtoise avec lui. À partir de maintenant, je dois me montrer prudente, je ne me permettrai pas de refaire une erreur.
Cette soirée s’annonce mouvementée.

 Suite et fin du chapitre 3

- Je suis vraiment désolé pour vos parents, leur mort est injuste.

 

Ses paroles me font l’effet d’une bombe. Comment est-t-il au courant ? Ah oui, c’est vrai. C’est lui qui les a tués.

Pourquoi s’excuse-t-il alors ? Je ne sais pas trop comment je dois prendre les excuses d’un Leader, c’est étrange.

J’avale difficilement ma salive avant de lui répondre d’une petite voix :

 

- Merci. Mais, comment êtes-vous au courant ?

- C’est moi qui ai traité cette affaire (mon corps est parcouru d’un frisson). Je suis un Leader 1 et quand j’ai eu le dossier, j’ai choisi de prendre votre frère en otage mais de laisser votre famille saine et sauve. Mais mon père ne m’a pas écouté, apparemment, mon avis n’est pas le plus important. C’est…c’est à ce sujet que nous nous sommes disputés.

 

Je ne sais pas si je dois le croire, j’hésite franchement, mais il a l’air sincère.

 

- Il aurait pu supprimer leur mémoire, continue-t-il. Mais il a soif de sang, il veut tout résoudre par la mort. Je ne suis pas fier d’être son fils.

- Leur…leur supprimer la mémoire ?

- Oui, c’est une invention de la D.O.P.

 

La D.O.P ou O.P, est le nom de la dimension où vivent les Inters, c’est un peu comme la D.J.N pour les humains.

 

- C’est assez pratique, on peut changer la réalité ou la supprimer complètement.

 

Il s’arrête pour réfléchir avant de reprendre :

 

- Voudriez-vous visiter la Pointe ?

 

Je manque de sauter de joie. Il n’a pas l’air de se rendre compte que cela me serait extrêmement utile. Il vaut mieux connaître un endroit avant de le prendre d’assaut.

Mais soudain, je me demande si tout cela n’est pas déraisonnable. Dois-je vraiment lui faire confiance ? Une idée me frappe avec la force d’un coup de poing. Et si je l’utilisais pour me faire visiter tout le domaine ? Me donner des informations capitales ? Il a l’air de m’apprécier, autant en profiter. C’est avec un éblouissant sourire que je lui réponds :

 

- Oui, avec joie !

 

Nous prenons l’ascenseur derrière nous. Il y a tellement d’étage que seule, je me perdrais sûrement.

 

- Choisissez un étage, me propose Ganecha.

 

Je choisi l’étage cinq, au hasard.

 

- C’est là ou travaille votre sœur, me dit-il, amusé.

 

Intéressant.

- Cela vous direz que l’on se tutoie ? Je n’aime pas les familiarités.

 

Je hausse les épaules.

 

- Oui, pas de problème.

 

Nous arrivons en silence à l’étage souhaité. La cabine s’ouvre sur un long couloir, longé de portes fermées séparées d’un écran chacune. Pour le moment, il y a juste l’inscription « Gloire aux Leaders d’Or ! » inscrit dessus, en lettres d’or sur fond noir.

 

- Il ne faut pas faire de bruit, certaines personnes travaillent encore.

- Le jour du Bal ?

 

Il me regarde fixement, je suis mal à l’aise

 

- Il faut toujours être vigilant.

 

Nous restons les yeux dans les yeux un long moment, mais un I.S nous interrompt (non que cela ne me dérange).

 

- Monsieur Ganecha ! Monsieur Ganecha ! Vous tombez bien, il…

 

Son regard passe de ma personne à celui de Tyson. Il se penche pour murmurer l’information à son supérieur, mais il parle trop fort pour que je ne l’entende pas.

 

-Il y a des intrus dans le bâtiment ! Ils ont une bombe et menacent de faire sauter la Pointe Noire ! Il faut les arrêter !

 

Oh non ! Wilfrid est sûrement condamné.

Je tombe sur le sol.

 

*************************

 

Je me réveille dans une grande chambre dont les murs sont en verre bleu. Je suis allongée dans un lit de même couleur.

 

- Comment vas-tu ?

 

Je me relève brusquement et vois Ganecha assis sur le bord du lit.

 

- Pas trop mal, dis-je d’une voix faible. Où suis-je ?

- Tu es dans ma chambre. Je t’ai transportée quand tu t’es évanouie.

- Je me souviens vaguement.

 

Wilfrid. Wilfrid est en danger.

 

- Que voulait l’I.S ?

 

Joue l’innocente, joue l’innocente.

- Des Rebelles sont entrés dans les sous-sols.

 

Je prends une mine terrorisée avant de poser la question qui me brûle les lèvres :

 

- Les avez-vous capturés ?

- Pas encore, mais cela ne saurait tarder. Quand tu t’es évanouie, nous t’avons secouru, je n’ai pas eu le temps de donner les ordres. Ils en ont profité pour s’enfuir.

Je retiens une exclamation de joie. J’ai sauvé la vie de Wilfrid et une dizaine d’autres Rebelles. J’ai eu raison de simuler un évanouissement, même si le choc sur le sol m’a réellement assommée.

- Je suis vraiment désolée.

 

Quelle menteuse.

- Ce n’est pas grave, ils n’ont rien volé et mon père les aurait torturés s’il les avait capturés.

 

Durant le silence qui s’éternise, je me demande si Tyson ne pourrait pas être un allié pour les Rebelles. Ce serait tellement pratique, il connaît tous les plans des Leaders et le bâtiment mieux que sa poche.

Il est responsable de la mort de ta famille, me souffle une vois désagréable.

Il a tenté de les protéger, rétorque une autre.

Je les efface d’un mouvement de tête agacé.

Je veux juste me servir de lui pour pouvoir créer un monde meilleur. Il est et restera un Ganecha, et je sais mieux que quiconque qu’il ne faut pas leur faire confiance, sous peine de recevoir un coup de couteau dès le dos tourné. Les Inters ont tué des centaines de millier d’Humains, ils n’épargnent personne. Ce sont des monstres.

 

- Où est Anya ?

- Elle est rentrée, je l’ai rassurée du mieux que j’ai pu. Je te ramènerai chez elle en voiture dès que tu te sentiras un peu mieux.

 

Il doit avoir au moins dix-huit ans pour avoir le permis.

 

- Merci Tyson.

- Tu peux m’appeler Ty.

 

J’hésite puis lui lance :

 

- D’accord Ty, appelle-moi Agé.

- Tu te sens prête à partir ? Ta sœur va s’inquiéter.

- Oui.

 

Il faut que je lui demande, sous peine de perdre un allié précieux.

 

- Je…je peux avoir ton numéro ?

 

Il me regarde avec surprise. Je ne pense pas qu’il s’y attendait.

 

- Oui, si tu veux.

 

Nous nous échangeons nos portables. Si on m’avait dit que j’allais avoir le numéro de Tyson Ganecha un jour, je n’y aurais jamais cru.

Nous sortons de la pièce. Je suis chez Olaf Ganecha,  mon pire ennemi.

Le salon est très beau, le mur extérieur est recouvert de verre noir, ce qui garde les lumières intérieures. Tous le mobilier est en verre, même la télévision. Un ascenseur, qui sert de porte d’entrée, se fond dans le mur. Tyson se dirige d’un pas énergique vers la cabine. Je le suis, en prenant soin de noter dans ma tête toutes les sorties et toutes les fenêtres.

Au cas où.

L’ascenseur descend au niveau -1. Ce n’est pas l’endroit des sous-sols, puisque Wil est allé au niveau -5. Je ne sais pas ce qu’il y a entre, mais ce n’est pas important selon lui.

Nous arrivons dans un garage où des dizaines de voitures sont alignées en rangée étincelante.

 

- Choisis celle que tu préfères, me lance Tyson.

- Elles sont toutes à toi ?

 

Il acquiesce. Une belle perte d’argent tout ça… je choisis machinalement une voiture de course grise métallique. Nous nous y installons, l’immense porte de garage s’ouvre. Tyson roule très vite, et nous sommes chez Anya en moins de vingt minutes.

Je descends de l’effroyable véhicule, la main sur le cœur. Je dois avoir le teint verdâtre.

 

- Bon…eh bien merci Ty.

- Avec plaisir.

 

Je m’apprête à tourner les talons, mais il me retient par le bras. Je lui fais volte-face.

 

- Attends, je dois te dire quelque chose.

- Quoi ?

 

Il hésite puis finit par lâcher, presque à contrecœur :

 

- Tu sais, après avoir lancé le gaz dans ton appartement, nous sommes allés voir les dégâts. Sur le sol, jonchaient les corps de tes parents (ma nausée s’amplifie) mais pas ceux de tes frères.

 

Je le regarde, les yeux ronds, en attendant qu’il me dise ce que cela signifie même si je connais déjà la réponse.

 

- Tes frères sont en vie.

 

Je n’arrive pas à y croire.

 

- Tu…tu es sûr ?

- Certain.

 

Mon cœur, que je pensais mort ces derniers temps, reprends doucement les battements qu’il n’a pas émis depuis un moment.

Ils sont en vie. Hermond et Dain sont en vie.

J’ai du mal à respirer, comme dans la boutique. Mais ce n’est pas par peur, bien au contraire. Je suis tellement heureuse, je suffoque, il fait chaud. Mon cerveau a perdu le contrôle, c’est un rêve. Tant de bonheur est impossible, pas vrai ? Tyson m’a vraiment dit qu’ils étaient en vie. Il ne me ment pas, je le sens. Il a beau être mon ennemi, je peux le croire. Mes membres tremblent, je tombe à genoux, salissant ma robe au passage, mais je m’en fiche. J’ai les larmes aux yeux.

 

- Où sont-ils ?

 

Je murmure ces paroles, comme si j’avais soif de réponse.

 

- Je ne sais pas (mon cœur rate un battement) mais ils doivent encore être dans la ville, c’est pratiquement impossible de s’échapper. Mais je te conseille de vite les trouver avant que les I.S soit les premiers à les voir. Trouve-toi des alliés.

 

Poussé par un élan de bonheur, je le prends dans mes bras, en larme et chuchote à vive allure :

 

- Merci, merci, merci beaucoup !

 

Il semble déconcerté mais me murmure presque imperceptiblement « pas de problème ».

Nous nous quittons après un bref salut.

J’ai de nouveau de l’espoir, une raison de me battre. Je rentre dans l’appartement, sans aller voir ma sœur (elle doit sûrement dormir) et accours vers ma chambre. Tyson a raison, je dois trouver des alliés.

J’appelle Wilfrid. Il décroche à la première sonnerie.

 

- Y’a un problème ?

- Non, bien au contraire, je murmure. Je viens d’apprendre que mes frères sont en vie !

- Quoi ? Agé, comment le sais-tu ?

- Heu…Tu sais, le Leader que ma sœur m’a présentée ? Eh bien c’est Tyson Ganecha. Et il me l’a dit.

 

Silence.

 

- Tu le crois vraiment ? finit-il pas dire.

- Je ne vois pas pourquoi il me mentirait, il n’a rien à y gagner.

 

Wilfrid soupire.

 

- Toi peut-être.

 

J’éclate de rire.

 

- C’est pas franchement une grosse récompense !

- La plupart des mecs ne seraient pas d’accord.

 

Il a pris un ton si sérieux que je me demande s’il plaisante.

Je rougis. Je ne suis pas d’accord, il ne me mentirait pas sur un truc aussi important.

 

- Moi je le crois, dis-je avec conviction.

 

Il soupire.

 

- Très bien si tu le dis. Demain réunion, il faut absolument qu’on les retrouve. Tu penses que tu peux partir de ta prison dorée ?

Je suis contente qu’il me fasse confiance.

- Non, mais je demanderai aux Leaders 10 la permission pour dormir chez Tullia.

 

La plupart du temps, ils refusent mais je ferai mon cinéma en pleurant devant Anya, elle leur forcera la main.

 

- Parfait, alors à demain.

 

Et il raccroche. Je m’étends sur mon lit, les mains derrière la tête, l’esprit plus tranquille, mais je sais que rien n’est encore joué.


24/10/2014
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Chapitre 2

Chapitre 2

Je me réveille seule. Je déteste cette sensation de vide. Comme à chaque fois, mon réveil est inutile, je me lève toujours avant l’heure. Je reste allongée dans mon lit, en entendant le bruit agaçant de la trotteuse, qui avance, avance, avance…
J’ai toujours détesté les lundis, même avant la Guerre de Soumission.
Je ferme les yeux en respirant doucement, et essaye de me rappeler de mes plus lointains souvenirs. Ils sont un peu vagues, mais je me souviens de mes débuts à l’école, où le port de l’uniforme n’était pas obligatoire, de notre président, même si je ne comprenais pas son utilité à l’époque, des balades dans la ville avec mes frères et sœurs, les gâteaux et les friandises que l’ont mangé tous ensemble dans un parc près de la tour Eiffel…
Mais il reste des passages sombres de cette belle époque. Les armes, les corps sans vie dans les rues, les attentats, puis Hermond, à six ans seulement, me faisant sortir de mon école ravagée pour sauver notre peau, une arme à la main…
J’enfouis ma tête dans mon oreiller en me répétant inlassablement « Oublie, oublie, oublie… » mais je ne le pourrai jamais. Des larmes coulent le long de mes joues tandis que des images de Rodrick, mort, s’enchaînent dans ma tête. Je n’arrive pas arrêter le flot de souvenirs atroces qui m’assaillent. 
Mon réveil me tire de mes pensées. Je renifle et me dis tout haut :


- Et dire qu’Anya les admire et les a rejoint après tout ça…Je la déteste, elle et ses stupides Leaders !


Je finis par me lever péniblement puis enfile l’uniforme composé d’une jupe bleue, d’une chemise bleue plus claire et d’un blazer noir sur lequel est brodé le drapeau de la Dimension du Jour et de la Nuit. Celui-ci est composé d’un pistolet entouré de part et d’autre d’un soleil et d’une lune, sur un fond bleu foncé. J’attache mes longs cheveux en queue de cheval puis me dévisage dans le miroir. Je me considère comme une fille banale, hormis mes cheveux d’un noir de jais et mes yeux gris clair. Je rentre mon collier dans ma chemise car le port de bijou est formellement interdit au lycée Je descends prendre mon déjeuner, qui n’a de « déjeuner » que le nom En effet, les Leaders ont jugé inutile de bien se nourrir. Nous prenons donc des comprimés à chaque repas, même si nous avons droit à de la vraie nourriture durant les trois fêtes : Le Bal de la Victoire, La Cérémonie de la Gloire et Le Festin des Morts.
Une fois mes pilules avalées, je me prépare à prendre les bus. Celui-ci arrive rapidement. Je prends place près de Tullia, où je peux voir Hermond en tenue militaire, une mine dépitée sur le visage. Il n’aime pas son métier et se considère comme un traître, mais il n’a pas le choix. Il descend à son arrêt avec ses camarades pour rejoindre une navette qui le conduira à sa base.


- Agé ! Ici la Terre, tu me reçois ? dit Tullia en agitant sa main devant mon nez.


Devant mon manque de réaction, elle suit mon regard et laisse échapper un « Oh ! ».


- Ça doit être dur pour lui, me dit-elle doucement.
- Il ne s’y fait toujours pas, même après deux ans, je lui réponds les yeux dans le vague.


Je soupire et me tourne vers elle.


- Et dans un an, nous serons dans le même bateau…A faire un métier dont nous ne voulons pas.


Dans cette nouvelle dictature, notre profession est prédestinée mais nous ne l’aimons généralement pas car des bugs quotidiens sur leurs machines nous indiquent les métiers où nous sommes les plus performants, et non des métiers qui vont nous plaire. Contrairement à nous les Humains, les Inters ont le destin qu’ils veulent. A dix-sept ans, nous allons sur le lieu de notre futur travail pour apprendre les ficelles du métier jusqu’à nos dix-neuf ans, où nous sommes totalement autonomes. L’année prochaine, je serai amenée à aller dans un hôpital pour apprendre à devenir Infirmière, et mes études achevées, je prendrai un appartement avec Wilfrid. Nous avons l’obligation d’avoir un enfant minimum mais Anya a réussi à s’arranger avec les Leaders. Son «enfant» est Vilma et elles vivent dans un immeuble des quartiers riches.


- Ouais, renchérit Tullia. Franchement, la machine a dû avoir un bug phénoménal quand elle m’a attribué Policière. Tu me vois avec ce métier ? Moi une Reb…
Je lui plaque précipitamment ma main sur sa bouche avant qu’elle ne sorte le mot en entier.
- Chut ! T’es folle ou quoi ? lui dis-je en la libérant.
- Excuse-moi, me répond-elle penaude. J’ai oublié.


Nous arrivons au lycée. C’est un bâtiment qui ressemble à la Pointe Noire mais il n’est pas en cône. Sa forme cylindrique possède plus de cinquante étages car c’est aussi un lieu de recherches en tous genre. 
Tous mes cours se déroulent ici, mais je n’arrive à rester éveillée qu’à seulement deux d’entre eux, Le sport et les maths. A l’heure de notre pseudo-repas, je rejoins Tullia et d’autres amis à la cafétéria. Parmi eux, se trouvent Darke, un Inter que j’apprécie malgré tout. Il n’y est pour rien dans cette guerre. Il reste neutre dans ses opinions, ne prenant parti ni pour son peuple, ni pour les humains.
Nous prenons place, nos verres et comprimés à la main.


- Agé, tu penses pouvoir appeler tes parents après les cours ? On doit aller choisir nos robes ! me dit Tullia d’un air surexcité.
-Oui, je lui réponds. Mais c’est Anya qui va prendre ma tenue. J’ai un peu peur de ce qu’elle va me choisir…
- Tu as tort, intervient Rouna, une jolie fille à la crinière de feu. Ta sœur a de très bons goûts, pour le peu de fois où j’ai pu l’apercevoir en tout cas.


C’est vrai qu’Anya s’habille bien et sait se mettre en valeur, elle ne peut montrer son talent dans la mode que lors du Bal.
J’appelle mes parents à la fin des cours, comme prévu. J’obtiens une autorisation facilement. Nous allons dans une boutique spécialisée qui ne vend que des robes et des accessoires. Les filles essayent très vite de nombreuses robes. Un tas se forme à mes pieds tandis que mes amies me demandent mon avis sur de nombreux vêtements. J’en essaye quelques-unes avec elles pour plaisanter.


- Comment trouves-tu celle-là ? me demande Tullia en tournant sur elle-même.


Elle porte une robe bustier rose pâle qui lui va parfaitement. Cette tenue met en valeur sa silhouette élancée et fine.


- Magnifique ! répond Rouna. Quant à moi, je pense que je vais prendre la jaune. Bon, reprend-t-elle après un silence. Il faut que j’y aille, mes parents veulent que je sois de retour à 18h, vous savez, à cause des I.S, dit-elle en baissant la voix.


Les I.S sont des militaires qui traînent dans les rues, plus particulièrement le soir. Ce sont les gardes des Leaders. Leur méthode est simple, si vous avez l’air suspect, vous vous faites tuer sur-le-champ. Tout le monde les craint et les déteste.

Une fois Rouna partit, Tullia se tourne vers moi.


- Tu penses que la robe va plaire à Max ? me demande-t-elle les joues roses.
- Quelle importance ? Il ne sera pas là pour te voir de toute manière.


Je réalise mon erreur, j’ai peut-être été un peu trop brusque. Je m’excuse devant l’air peiné de mon amie.


- Ce n’est pas grave, je le sais. Mais c’est dur d’avoir un copain, de savoir qu’il sera au bal mais de ne pas pouvoir danser avec lui. Tu ne connais pas ça toi, me dit-elle avec un sourire sans joie.

Bien sûr que si, je sais ce que cela fait. Mais je ne lui dis pas. La culpabilité me ronge alors. Je me tourne face au miroir pour éviter de la regarder dans les yeux et me coiffe machinalement. Etant une très mauvaise menteuse, je hausse les épaules pour éviter de lui parler.


- Enfin, tu ne sais pas non plus ce que c’est d’avoir un copain.


Je déglutis. L’envie de lui répliquer le contraire me démange.


- Mais je pense que tu irais bien avec Wilfrid, dit-elle pensive.


Je sens que je vais craquer. Il ne faut pas, il ne faut pas ! 


- Et bien, me dit-elle en me faisant face. Tu as perdu ta langue ?


Devant ma mine gênée, elle pousse un petit cri et me lance d’un air menaçant :


- Agé, tu me caches quelque chose, je le sais !
- N-non, je bredouille un peu trop rapidement.
- Agénia ! s’exclame t-elle sur un ton de reproche, maintenant.


Je ne sais plus quoi répondre. Je réfléchis à toute vitesse et dis précipitamment :


- Ma…ma sœur va me présenter à un Leader et ça m’angoisse un peu, je dois dire…


Son air énervé prend place à une moue de déception.


- Ah bon… Je pensais qu’il y avait autre chose…
- Je trouve ça quand même sérieux ! je m’exclame, trop heureuse de changer de sujet. Elle veut quand même me caser avec un Leader !


Un sourire gourmand s’affiche sur son visage.


- Oh, il est peut-être mignon !


Je m’esclaffe, entraînant Tullia dans mon hilarité, mais nous nous stoppons net en voyant un I.S entrer dans la boutique. Nous nous regardons l’air horrifié. Il faut que l’on parte vite d’ici. Nous enlevons nos robes rapidement et nous dirigeons vers la caisse pour régler nos achats. Malheureusement, le militaire s’y trouve, accoudé contre un mur, il nous fixe. J’avale péniblement ma salive tandis que Tullia sort son porte-monnaie. Je peux remarquer que la caissière, la gérante du magasin sans doute, tremble. Je comprends alors que l’I.S n’est pas là pour nous. Après avoir payé, nous nous apprêtons à sortir du magasin mais une voix nous retient.


- Mesdemoiselles, attendez !


J’échange un regard angoissé à Tullia. Celle-ci, livide, hoche silencieusement la tête. Nous nous retournons alors lentement.


- J’aurai besoin de témoins pour ce qui va suivre. Cette femme, dit-il en désignant d’un air de dégoût la vendeuse, a oublié de nous avertir du cancer de son fils.


Pauvre femme, elle a commis une grave erreur. Protéger un malade est stupide, car les Leaders les jugent encombrants et inutiles quand ils sont condamnés. Les choses superflues de la société n’ont pas leur place. L’art, la musique…tout cela a disparu. Et les humains qui ne travaillent pas sont jugés inutiles. Alors quand on est vieux ou qu’on a une maladie trop grave, les I.S se débarrassent de nous comme de vulgaires déchets.
L’homme à la carrure imposante braque son arme sur la femme agenouillée. Celle-ci nous implore du regard. Je fais un mouvement vers elle mais Tullia me retient par le bras et me fait « non » de la tête. J’ai la gorge nouée. Le militaire commence le compte à rebours.


- 5. 
- Pitié, je vous en supplie !
- 4.
- Aidez-moi ! dit-elle en se tournant vers nous.


J’ai la tête qui tourne.


-3.
- J’ai des enfants ! sanglote-t-elle.
- 2.
- Je vous en conjure ! implore-t-elle les larmes aux yeux.


J’ai du mal à respirer.


- 1.
- PITIÉ ! hurle-t-elle.


Le coup de feu retentit. L’I.S observe le corps gisant dans une mare de sang, l’air satisfait et nous adresse un signe de tête avant de s’en aller.

******************

A peine ai-je fini la tonne de devoirs que j’ai, que mon portable se met à sonner. Je pousse un long soupir et réponds. 


- Salut Wil.
- Salut Agé. Tullia m’a raconté ce qui s’est passé à la boutique. Tu vas bien ? me demande-t-il soucieux.
- Heu… Pourquoi t’a-t-elle raconté ça ?


Il rit et me dit, moqueur :


- Eh bien, peut-être parce que je suis le chef des Rebelles ? Tu sais, beaucoup de gens m’informent de ce genre de trucs.


Je l’ignore et lui rétorque légèrement boudeuse :


- Pour répondre à ta question, oui, je vais bien. Je commence à être habituée, des morts, il y en a tous les jours.


C’est vrai. Hier Mat, et aujourd’hui, cette pauvre femme.
Wil me demande :


- Tu sais pourquoi l’I.S l’a tué ?
- Elle n’a pas dit aux Leaders que son fils avait un cancer.
- Erreur stupide, marmonne-t-il en émettant des petits claquements de langue agacés. Bon, je dois y aller mon ange.


Il me manque. Alors même si je connais déjà la réponse, je tente quand même.


- Ça te dirait de passer?
- J’aimerais bien, sincèrement, mais je dois expliquer le plan aux volontaires.


C’est vrai, le Bal approche et il faut se tenir prêt.


- Oh, je fais déçue. Je laisse ma fenêtre ouverte. Au cas où.
- D’accord, j’y penserai. Je t’aime.
- Moi aussi.


Et il raccroche. Je me lève et entrouvre ma fenêtre dans l’espoir qu’il vienne, puis je me laisse emporter dans les bras de Morphée.

****************

- Agé ! Réveille-toi ! Me chuchote précipitamment une voix familière.


J’émets un grognement indigné.


- Allez, Agé ! Il faut que tu te sauves !


Je reconnais les voix de Wilfrid mais elle a des accents paniqués

.
- Agé, je t’en prie ! Dépêche-toi !


J’ouvre péniblement les yeux et m’apprête à lui faire des commentaires de reproches.


- Qu’est ce qui ce passe ? T’es au courant qu’il fait nuit ? dis-je, railleuse.
- Des I.S veulent te tuer, toi et ta famille ! On doit fuir rapidement !
- Quoi ? Je m’exclame abasourdie.


Je me lève précipitamment et rougis devant mon accoutrement. Un mini-short et un haut, laissant apparaître mon ventre. Je crois bien que jamais aucun garçon n’a vu autant de partie de mon corps. Il me regarde brièvement et je comprends que la situation est grave. Je mets mes chaussures et le rejoins près de ma fenêtre.


- Désolé de te capturer de cette façon mais c’est une situation extrême.


Nous descendons rapidement et j’aperçois une voiture de sport, à la place du simple véhicule habituel de Wil.


- A qui est cette voiture ? Je demande en ouvrant la portière.


Il me sourit furtivement.


- Maintenant, elle est à moi.


Ah d’accord. Il l’a volé.
Je m’engouffre dedans tandis que Wil démarre. Il commence à rouler extrêmement vite.


- Qu’est-ce qu’il se passe à la fin ? Dis-je énervée.


Il pivote vers moi et me dit d’un air étrange.


- Un de nos alliés Inters m’a appelé en urgence pour me prévenir qu’une famille allait être exterminée. J’ai…j’ai entendu ton nom et je n’ai pas réfléchie. 


Je réalise alors la situation.


- Arrête-toi tout de suite ! Je hurle.


Il s’arrête brusquement et plante son regard dans le mien. Il dit d’un ton furieux :


- Mais ça va pas ?!
- Si tu crois que je vais laisser mes parents et mes frères là-bas, tu te fourres le doigt dans l’œil ! Je continue de hurler en l’ignorant.
- Agé, tu ne peux rien faire pour eux. On doit aller chez ta sœur, dit-il fermement.
- Ramène-moi chez moi !


Il baisse les yeux.


- Désolé mais c’est non.


Il redémarre la voiture. Je hurle, pleure, m’agite dans tous les sens mais il fait comme si de rien n’était. Nous arrivons devant l’immeuble de ma sœur. Wil sort tandis que je reste immobile, les larmes aux yeux. Il ouvre ma portière et détache ma ceinture.


- Je ne te le pardonnerai jamais, est-ce que tu t’en rends compte ? J’explose.


J’ai mal au cœur, je n’arrive pas à avoir des pensées cohérentes. J’ai juste l’impression de faire un très mauvais rêve. Il m’attrape le bras et me prend contre lui.


- Peu importe, marmonne-t-il, tu es en vie, c’est le principal.


Je le déteste. Mes parents, mes frères, tous vont se faire tuer par sa faute. Les larmes coulent le long de mes joues tandis que je me débats de son étreinte. 
Nous rentrons dans l’immeuble. Il me tient toujours fermement le bras. Je lui crache avec mépris :


- T’es vraiment un connard Wil, t’es qu’un sale…
- Je sais, me coupe-t-il en s’arrêtant.


Ses yeux me lancent un regard agacé, auquel je reste insensible. Il me dit d’un air furibond :


- Tu veux que je fasse quoi, hein ? Tu veux que je te ramène chez toi c’est ça ? Bon sang, Agé ! Il doit y avoir une horde d’I.S en ce moment, qui vont tout faire pour exterminer toute forme de vie !
- On aurait pu les sauver ! Nous savons nous battre !
- Non. Ils vont utiliser le gaz R.


Mes yeux se remplissent d’effroi. Le gaz R est un procédé monstrueux, utilisé uniquement en cas extrême d’urgence. Une fois que notre peau entre en contact avec ses émanations, le gaz mortel ronge chaque partie de notre peau pour ne laisser que ton squelette. Finalement, c’est un cauchemar.


- Pourquoi veulent-ils nous tuer ? Je demande à Wil.
- C’est ton frère qu’ils veulent car il fait partie d’un gang de Rebelles un peu spécial. Ils ne cherchent pas des armes destructives, mais ils essaient d’en fabriquer. Ils ont, à notre plus grande joie, réussie, mais ils se sont rapidement fait repérer. 
- Je…je l’ignorais. 


La tristesse domine ma voix, mais je continue.


- Pourquoi veulent-ils tuer mes parents et mon petit frère ? 
- Les Inters sont terrifiés à l’idée que ton frère puisse vous avoir communiqué des informations importantes. Ils ne veulent prendre aucun risque. Mais si tu n’étais pas chez toi, tu n’as rien à craindre. Voilà pourquoi je t’emmène chez ta sœur.


Je reste en colère contre lui. Les Leaders vont vouloir détruire tout être ayant parlé à Hermond.

Par n’importe quel moyen.
Même si j’avais pu les sauver, nous n’aurions pas pu nous échapper, à cause de la Clôture qui entoure toute la ville. Nous serions devenus des fugitifs, traqués de tous côtés.
Je laisse couler mes larmes, sans prendre la peine de les essuyer.


- Allez, me dit doucement Wil. Il faut qu’on y aille.


Je renifle en acquiesçant et me dirige vers l’immeuble. Les couloirs, sombres et élégants, me donnent quelques frissons. Nous arrivons devant la porte de ma sœur. Wil sonne une fois, puis deux. Anya nous ouvre, les yeux encore engourdis par le sommeil et les cheveux en bataille. Je la détaille. Elle porte une nuisette très courte. Je me tourne furtivement vers Wilfrid et je peux voir avec soulagement qu’il tourne la tête, gêné, pour ne pas regarder. Ma sœur nous dévisage, ébahie, avant de prendre conscience de sa tenue. Sans dire un mot, elle retourne dans la pénombre de son logement et revient, une longue veste sur les épaules. Elle nous fait signe d’entrer et je la suis, toujours accompagnée de Wilfrid. Nous nous asseyons sur son luxueux canapé. Elle commence à me dire :


- Que…qu’est-ce que tu viens faire ici ? Agénia, t’as vu l’heure ? Et en plus, accompagnée !


Elle regarde Wil avec une expression méfiante. Je lui explique rapidement la situation et je vois son visage devenir à la fois sombre et triste.


- D’a... d’accord. Et qui est ce jeune homme ? me demande-t-elle en désignant Wil d’un signe de tête.


Bon. C’était beaucoup plus facile d’expliquer à Hermond qui était Wil. Mais là… Je ne peux pas lui dire que c’est mon chef, et encore moins celui des Rebelles ! Je ne peux pas non plus lui dire que c’est mon petit-ami, pour des raisons évidentes.


- C’est le meilleur ami d’Hermond et quand il a su qu’il allait se faire tuer, il a voulu nous protéger, donc il a envoyé Wil. Mais il a juste pu me sauver moi car il était trop tard.


Ma voix se brise, tandis qu’Anya observe toujours mon compagnon. Elle finit par lui lancer :


- Et t’es un Rebelle ? Comme Hermond ?


Je tressaille. Bien sûr. Ma sœur n’acceptera jamais de nous héberger si elle sait. Je suis même quasiment sûre qu’elle laisserait mourir Hermond pour avoir été un Rebelle.


- Non, dit Wil, à mon grand soulagement.


Ma sœur affiche un petit air satisfait.


- Parfait. Mais, reprend-t-elle avec une mine soucieuse. Comment on va faire pour vos bracelets ? Tu viens de sortir au-delà du couvre-feu, ça a dû être enregistré, non ?
- Hermond m’a appris à les trafiquer, intervient Wil.


Je lui tends mon bras tandis qu’il sort une petite aiguille noire. Il la plante dans mon bracelet : un écran holographique apparaît alors. Il pianote quelques instructions, sous le regard désapprobateur de ma sœur.


- Voilà, déclare-t-il. Ni vu, ni connu. Je dois faire aussi quelques petits changements sur vous, dit-il en s’adressant à Anya. Pour ne pas que l’on sache que vous avez vu Agénia avant.


Elle se laisse faire, docile, mais je peux apercevoir une pointe d’agacement dans son regard.


- Merci, dit-elle d’un ton qui ne trompe personne. D’avoir sauvé ma sœur.
Je sais bien qu’elle n’en pense pas un mot. Elle doit détester Wil de m’avoir protégé moi, et non mes parents. Nous avons désobéi aux règles et elle n’approuve pas, c’est certain.
- C’est la moindre des choses, répond Wil en haussant les épaules.


Je vois ma sœur hésiter avant de lui demander:


- Vous voulez dormir ici ? A cette heure-ci, les rues sont remplies d’I.S.


Il refuse d’un signe de tête poli.


- Non, je me débrouillerai, ne vous en faites pas.
- Comme vous voulez.


Un silence gêné s’installe. Wil se lève d’un coup et se dirige vers la porte, prêt à partir. Anya le salut d’un signe de tête poli. Je lui lance un signe timide de la main, avant de le voir s’engouffrer dans les couloirs vides et froids.
Une fois Wil parti, Anya se tourne vers moi et déclare sévèrement :


- Tu sais que je n’aime pas désobéir aux règles, mais bon…on a pas le choix, pas vrai ? Je pense que les Leaders arriveront demain pour nous annoncer la…nouvelle (elle avale difficilement sa salive). On dira que tu es venue ici de ton plein gré pour me poser des questions sur mon travail et qu’après avoir longuement parlé, le couvre-feu était dépassé. Je crois que les Leaders te donneront des vêtements convenables, okay ?


Anya me guide dans son sublime appartement. C’est la première fois que je viens.
Quelles tristes circonstances pour une visite, me dis-je tout bas. Tous les murs sont bleus foncé et les meubles sont transparents. C’est ce que les riches ont, des meubles « invisibles ». Je me dirige vers le couloir. Il y a quatre chambres, deux sont occupées par Anya et Vilma. Je regarde le nom de ma petite sœur, écrit sur une porte en bois foncé. Pauvre Vilma, elle aura une bien triste surprise demain. 
Je rentre dans ma chambre. Elle est blanche, un grand lit au centre de la pièce. Une armoire et un bureau (transparents, évidemment…) sont collés contre les murs, utilisant l’espace tant bien que mal. Il n’y a aucune décoration, aucun objet personnel. Tellement de choses sont inutiles…parfois même des êtres humains. Je m’affale sur le lit et regarde pensivement par la fenêtre qui surplombe mon lit. Suis-je inutile ? Mes parents et mes frères étaient-ils inutiles ? Non, j’en suis persuadée. Hermond a réussi à trouver une arme contre les Inters.
Il n’était définitivement pas inutile.
Alors, on l’a tué. Le monde a tellement changé… Penser comme les Leaders. Agir comme les Leaders. Vivre comme les Leaders. Aujourd’hui, cinq personnes, dont une que je ne connais pas si bien, sont mortes. J’éclate en sanglot.


- Maman, papa, Hermond et Dain aussi ! Je suis désolée, je suis tellement désolée ! Je…suis…dé…dé…


Les mots me manquent. L’effroyable vérité me frappe en pleine poitrine, comme une lame chauffée à blanc. C’est de ma faute s’ils sont morts. Ma faute. Une profonde haine commence alors à s’insinuer doucement, comme un serpent en moi. Non…
C’est de la faute des Leaders. Tout, tout est de leur faute à eux.
Je sèche mes larmes d’une main rageuse. Ils ont pris le bonheur d’une famille. 
Ils ont contrarié la mauvaise personne….


24/10/2014
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