Irréductible, Tome 1

Irréductible, Tome 1

Chapitre 3

Chapitre 3

Comment fait-on pour s’enfuir d’ici ? Telle est la question que je me pose nuit et jour. Je n’aime pas me sentir piégée.
Mais l’appartement de ma sœur est une cage dont je ne peux pas me libérer.
Je me tourmente en essayant de trouver une solution mais au fond de moi, je sais que je m’occupe l’esprit uniquement pour ne pas pleurer. Ne pas penser à eux. Comment la vie peut-elle me faire cela en si peu de temps ? Je n’ai plus de parents, plus de frères et je vis dans un appartement dégoulinant de technologie et de modernité. Mais maintenant je suis sûre d’une chose : il existe bel et bien une arme pour tuer les Inters. Hermond a trouvé un objet qui peut changer le monde. 
Je regarde pensivement le mur en face de moi, quand un bruit me tire de mes songes.


- Entre ! dis-je à voix haute à ma sœur.


Celle-ci passe sa tête dans l’entrebâillement de la porte


- Bonjour ! Tu es déjà réveillée ? J’ai entendu du bruit…


Je suis réveillée depuis deux jours. Je n’ai pas dormi.


- Oui, je me lève tôt le matin.


Elle entre. Son visage un peu rond contrairement au mien, est bien maquillé. Elle est habillée et coiffée d’un chignon serré. Aucune mèche blonde ne dépasse. Je l’observe silencieusement et note nos multiples différences. Mes cheveux sont noirs, les siens sont blonds. Ses yeux sont bleus comme le ciel, les miens sont gris comme de la pierre. Elle a les lèvres fines, les miennes sont pulpeuses…
Elle reprend la parole en souriant.


- Je me souviens de tes paresses matinales. Cela a changé.


Elle regarde autour d’elle, pensive, puis finit par reporter son attention sur moi. Elle me fait un grand sourire.

Je pense qu’elle est heureuse que je sois ici, mais ce n’est pas réciproque. Je ne vois en elle qu’une traître. Elle, qui à seulement dix-huit ans rejoignait les Leaders et moi, à quatorze ans, rejoignais les Rebelles. Je ne regrette rien. Nous avons pris deux voies différentes.
Nous sommes différentes.
Je me souviens de l’angoisse qui me prenait dès que je la voyais. Je craignais qu’elle ne découvre mon secret et qu’elle me dénonce. Même si cette peur s’est dissipée, je la ressens toujours au fond de moi…
Devant le silence gênant qui s’installe, je me dirige à grandes enjambées vers le salon pour avaler mes comprimés. La nutrition, l’hydratation et enfin, un antidépresseur.
Un cadeau des Leaders.
C’est un comprimé réservé aux Inters mais ma sœur m’en a demandé, au cas où. Ils ne servent strictement à rien… 
Je m’assieds et vois Vilma arriver vers moi, Anya sur ses talons. Elle me considère avec le même regard peiné qui ne quitte plus ses jolis yeux. Anya a dû lui expliquer la situation et la voir souffrir est affreusement douloureux… 
Elle me prend la main et me dit d’une voix plus animée que d’habitude :

 

- Eh ! Tu sais quel jour on est Agé ?


Oui, bien sûr. Le jour du Bal. Comment pourrai-je oublier ? Je n’ai aucunement l’envie d’y aller, je préfèrerais rester ici et trouver une solution pour rejoindre les autres. Après la mort de mes parents, j’ai prétexté vouloir dormir chez Tullia pour pouvoir assister à la réunion, mais je ne peux pas faire ça à chaque fois.


- Oui, je sais, je réponds à Vilma avec le peu d’entrain qui me reste. Aujourd’hui, je vais rencontrer mon prince charmant.


Ces mots m’arrachent les lèvres, mais cela à l’air de faire plaisir à ma petite sœur. Celle-ci esquisse un petit sourire.


- Tout à fait, et tu dois être la plus belle ! On te préparera avec Anya cet après-midi.


Elle adresse un clin d’œil complice à notre grande sœur, puis sort précipitamment de table pour aller dans sa chambre. Anya la regarde s’éloigner, puis se tourne vers moi et me dit sérieusement :


- Agé, n’oublie pas que l’on doit garder secret la mort de papa et maman pour le bien de notre société. Si les gens venaient à apprendre ce tragique évènement, les Leaders seraient vus d’un mauvais œil.


Je l’observe, mes yeux remplis de haine. J’essaie de garder pour moi ce que je pense, mais entendre cela me révolte. Comment ose-t-elle dire cela de sa propre famille ? Pourquoi fait-elle passer l’image des Leaders avant tout le reste ? Elle me dégoûte… Je frappe mon poing sur la table plus fort que je ne l’espérais. Elle sursaute.


- Et alors ? N’est-ce pas la vraie image des Leaders, Anya ? 


Ma sœur me regarde d’un œil sévère et me dit sèchement :


- Agé, tu sais très bien qu’ils n’avaient pas le choix ! Hermond a fabriqué une arme dangereuse pour la société et le bien de la population ! Parfois, il faut sacrifier quelques personnes pour en sauver une centaine !


Je suis outrée. Comment ma sœur peut appeler des sacrifices une série de meurtres odieux ? C’est exactement le genre de discours que tiendrait un Leader d’Or. Le slogan d’Olaf Ganecha est justement « Il faut parfois sacrifier des vies pour que la perfection reste ». Quelle perfection ? Ce type se prend pour l’incarnation de l’espèce idéale. Mais tuer des personnes innocentes est loin d’être respectable. 


- Et Dain ? Et papa ? Et maman ! je continue de hurler.
- C’était dangereux, siffle-t-elle enter ses dents.


Je reste sans voix. Elle quitte rageusement la pièce, me laissant seule dans mes pensées.

*******************

Après trois heures de préparation intense, mes sœurs ont enfin fini de me transformer.


- Waouh ! s’exclame Anya. Agénia, tu es superbe !


Je me tourne vers le miroir pour me contempler. Mes longs cheveux sont attachés en une natte et ma robe bustier bleue me va plutôt bien, je dois dire. Elle n’a qu’une seule bretelle épaisse sur mon épaule droite. Le tissu descend jusqu’à mes pieds, où des petits papillons en perles violettes voltigent. On jurerait qu’ils pourraient s’envoler. Nous n’avons pas le droit au maquillage mais Anya à quand même su camoufler mes cernes. 
J’ai presque l’air d’avoir bonne mine.


- Merci Anya, la robe est magnifique.


Vilma me regarde, des étoiles plein les yeux. Elle tripote sa jolie robe rose.


- J’aimerai tellement être comme toi plus tard, soupire-t-elle.


Je lui fais un grand sourire. Elle paraît déjà plus heureuse, ses joues se colorent peu à peu.


- Bon, dit finalement Anya. Maintenant que j’ai joué les bonnes fées, je file me préparer !


Elle parcourt la salle, nous laissant seules. Je m’assieds près de Vilma.


- Tu me raconteras, hein ? me demande-t-elle tristement.


Je hausse les épaules et lui réponds :


- Bien sûr ! Mais, si tu veux mon avis, ça doit être ennuyant.
- Mais tu vas rencontrer ton prince ! s’exclame-t-elle. Et vous danserez ensemble et il te demandera en mariage et tu diras oui et vous aurez des enfants !


Elle fait une pause pour reprendre sa respiration.


- Dis, reprend-t-elle doucement. Je pourrai venir dans ton château ?


Je ris devant son air enjoué. Je lui explique tendrement :


- Sans vouloir briser tes rêves, cela ne se passe pas toujours comme ça. Il faut que le garçon me plaise d’abord ! Ensuite, je pourrai le revoir plusieurs fois et si l’on s’aime vraiment, alors oui, je pense que l‘on pourra se marier.


Devant son air ravi, je ne peux que regretter mes paroles. Désormais, si nous n’avons pas de mari à dix-neuf ans, les Leaders choisissent pour nous. Pour ne pas avoir de conjoint, il faut envoyer une demande aux Leaders 7, qui s’occupent des relations entre les citoyens.
Chaque Leader a une fonction spéciale : Les Leaders 10 s’occupent des plaintes humaines (mais elles sont systématiquement refusées), les Leaders 9 gèrent les comprimés (leur production et leur distribution) les 8, les plaintes de Inters (même s’ils ne se plaignent pratiquement jamais). Les 6 recensent les arrivées des nouveaux Inters venant de la D.O.P à Paris. Les Leaders 5, le secteur de ma sœur, gèrent les I.S et les caméras de la ville et les 4, les naissances. Les 3 sont des scientifiques, mais leurs travaux sont un peu secrets. Personne ne sait ce qu’ils font. Les 2 s’occupent des armes en provenance de la D.O.P, comme le gaz R et pour finir, les Leaders 1 ont l’immense privilège de s’occuper des exécutions. 
Autant vous dire qu’ils ont pas mal de travail. 
Les Leaders d’Or élaborent les lois mais ils ne sont que trois, alors ils sont aidés par les Leaders d’Argent, à New York (Cynthia Colby, Cody Alan et Maxwell Aslan).
Je remarque que Vilma me parle.


- …ne pourrait pas te plaire ? C’est un Leader ! Et en plus, ce n’est certainement pas un 10 d’après Anya…


Pourquoi ne peut-elle pas avoir des conversations de petite fille ? Elle parle de Leaders et de classe sociale, alors qu’elle n’a que cinq ans ! Je n’ai pas le temps de lui répliquer quoique ce soit car Anya sort de la salle de bain. Elle porte une longue robe bustier couverte de paillettes. Des fins voiles blancs lui fendent la jambe et ses cheveux sont relevés dans un chignon compliqué.


- Alors, dit-elle un peu anxieuse. Vous me trouvez comment ?
- Magnifique, je réponds franchement.


Elle rosit de plaisir.


- Bon, le taxi doit nous attendre en bas.


Mon ventre se serre. J’ai très peur de ce qu’il va se passer. En plus de rencontrer une personne que je suis sûre de haïr, Wilfrid et les autres Rebelles vont pénétrer dans la Pointe Noire. Nous descendons l’immeuble pour nous engouffrer dans une voiture de couleur sombre. Nous arrivons rapidement. J’aide Vilma à sortir, qui, dans son élan, à manquer de trébucher. J’arrive devant la Pointe Noire, tout le monde porte des robes ou des costumes. Je cherche du regard mes amis, Tullia, Rouna, Drake ou Julien, mais il y a trop de monde. La famille de l’amie de Vilma est là. Ils ne vont pas participer au Bal, seulement au Recensement : ils s’occuperont de ma sœur. Nous disons au revoir à Vilma, puis nous entrons. Anya va directement vers la salle du Recensement. Je la suis dans la file d’attente. Nous attendons une demi-heure dans le silence avant de finalement passer. Anya passe son bracelet dans la machine. Aucune donnée négative ne sort. Je prie chaque année pour qu’il n’y ait aucun problème de mon côté. Je passe mon bracelet à mon tour, la main tremblante. Je soupire devant le manque de réaction de la machine. Rien. Quel soulagement ! Je ne mourrai pas à ce Bal ! Mais on ne sait jamais…


- C’est maintenant que ça devient intéressant ! s’exclame joyeusement Anya.


Elle s’élance dans la salle de Bal, et je la suis nerveusement. C’est exactement comme me l’avais décrit Hermond. La salle est immense, remplie de lumière. Un grand escalier se situe au fond de la pièce pour pouvoir accéder aux ascenseurs menant au reste de la Pointe. La couleur or domine toutes les autres. Les lustres, les couverts, les murs… Presque tout sauf le sol, qui est d’un rouge éclatant et les escaliers. J’aimerai tellement que mon frère soit là… Une larme coule tout doucement le long de ma joue. Je l’enlève d’un revers de main, en essayant de paraitre indifférente. Anya disparait dans la foule et je m’efforce de la rattraper. Je la retrouve devant un attroupement de personnes, qui je pense, sont toutes des Leaders.
Anya me fait un sourire encourageant et me présente.


- Alors…Agé, je te présente Laura, une 4 et Jay, un 6. Ici tu as Ise, une 3 et enfin Camerone, un 5.
- Enchanté Agénia, nous avons beaucoup entendu parler de toi, me dit Ise en me tendant la main.


Je la lui serre machinalement en grommelant un vague « Ah bon… ».
Je les regarde s’esclaffer. Je ne les aime pas du tout. Il y a très peu d’Humains qui deviennent des Leaders, la plupart sont des Inters.


- Vous savez où est Tyson ? demande ma sœur en scrutant la foule.
- Oui, il est là-bas, répond Camerone en désignant la rambarde des escaliers.


Ma sœur me prend la main et me dirige vers l’endroit indiqué.


- Bonjour Tyson ! s’écrie ma sœur en se plantant derrière un grand brun.


Le type se retourne.
Et mon cœur s’arrête de battre.

Ses yeux d’un bleu profond contemplent ma sœur avec amusement. Sa légère barbe est coupée à ras le long de sa mâchoire carrée. Ses cheveux ne sont ni décoiffés, ni bien peignés. Il esquisse un sourire si léger que je pense avoir rêvé.
Sa beauté est à couper le souffle, mais je reconnaîtrais ce visage entre mille.


- Bonjour Anya, commence-t-il d’une voix grave. Comment vas-tu, tout se passe bien ?


Son ton est posé, calme et poli. Il observe ma sœur, semblant avaler chaque parole qu’elle s’apprête à dire.


- Oui, je te remercie, tout est parfait !


Je ne l’ai jamais vu aussi peu sérieuse. Elle semble sortir doucement de son agitation et se rappelle de ma présence.


- Je te présente ma petite sœur, Agénia.


Elle me pousse gentiment vers lui, comme une mère qui présente son enfant à un étranger. Le regard de cet inconnu, qui jusque-là ne m’avait porté aucun intérêt, se pose sur moi.

 

- Enchanté Agénia, je suis Tyson Ganecha.


Il me tend la main avec un sourire discret. Je la regarde fixement. Je m’en doutais.
Il est bien le fils d’Olaf, de cette ordure.
Je l’ai déjà vu faire des apparitions publiques en compagnie de son père. Je le fixe avec tellement de dégoût que cela devient presque impoli. Mais il ne se départ pas de son sourire.


- Bonjour, dis-je d’un ton que je veux réfrigérant. 


Nous nous regardons pendant un moment. Lui avec curiosité, moi avec défi. Je ne le quitte pas des yeux, je n’ai pas envie de détourner le regard la première. Je sens que ma sœur nous observe d’un air inquiet.
Elle rompt le silence d’un bredouillement confus.


- Heu… Bon… Agé, je te laisse avec Tyson. Viens me voir quand tu voudras…. partir.
Et elle s’éloigne d’une démarche peu assurée. 
- Alors, quel âge avez-vous ?


Je trésaille. Je ne m’attendais pas à ce qu’il m’adresse la parole, vu la façon dont je l’ai accueilli.


- J’ai seize ans, je marmonne.
- Donc c’est votre premier bal.


Ce n’était pas vraiment une question, mais je hoche la tête.


- Et apparemment, continue-t-il. Votre sœur veut que vous le passiez en ma compagnie.


Je rougis légèrement, sans trop en connaître la raison.


- Oui, ma sœur m’a trop souvent parlé de vous.


Quelle idiote ! Je ne sais vraiment pas pourquoi je lui parle.
Mais à ma grande surprise, il éclate de rire avant de retourner dans la contemplation de mes yeux.


- Je peux dire la même chose.


Je ris nerveusement à mon tour avant de m’arrêter brusquement. Ce n’était même pas amusant ! Je suis en train de pactiser avec mon pire ennemi. Il a tué ma famille.
Non, je ne dois pas rester près de lui, il est dangereux.
Alors que je m’apprête à lui fausser compagnie, une jeune fille accompagnée d’un garçon robuste s’approchent de nous.
Ce sont Arma Judisa et Léon Hemine, les enfants des autres Leaders d’Or. 


- Salut Ty, lance la fille.


Puis sa tête pivote dans ma direction. Elle affiche un air étrange, comme si cela lui faisait plaisir de me voir. Je ne vois pas pourquoi, on ne se connaît même pas.


- C’est qui ?


La question a fusé de la bouche de Léon, et je dois dire que je n’aime pas le ton qu’il a employé.


- Agénia Aysun, la sœur d’Anya Aysun, répond Tyson.


Je suis parfaitement capable de me présenter ! Pour qui se prend-t-il ?


- Je suis enchantée Agénia, me dit Arma d’un air ravi. Tu es d’une beauté éblouissante !
- Heu… Merci, toi aussi…


Je suppose que je peux la tutoyer si elle en fait de même. Elle est tellement enthousiaste que je me demande si cela n’est pas forcé. Ce n’est pas le cas de Léon qui n’a pas l’air de me porter dans son cœur.


- Tu es une Humaine je suppose, me crache-t-il.


Il n’aurait jamais dû dire cela. Je me sens insultée, je bouillonne de rage. Je suis fière d’être Humaine, et je préfèrerais mourir plutôt que de rejoindre sa race à lui ! Mais au lieu de m’énerver et de lui lancer tout ce que j’ai sur le cœur, comme j’en rêve, je lui fais un grand sourire.


- Oui, c’est exact et c’est une de mes plus grandes fiertés ! dis-je d’un ton jovial.


Alors évidemment, être heureuse d’être une Humaine n’est pas vraiment bien vu. Les Humains sont inférieurs au Inters, donc ce n’était pas vraiment une bonne idée de crier tout haut que j’assumais mes origines. Et au vu de leurs mines ébahies, je ne suis pas la seule à penser cela… Arma se ressaisit rapidement.


- Heu… nous allons retourner vers les Leaders. Tu viens Tyson ?


Elle lui demande d’un ton empressé.


- Non, merci. Je n’ai pas envie de voir mon père après… tu sais…, dit-il en baissant la voix.


Il lui murmure rapidement les détails de son motif et je peux entendre quelques bribes, comme « dispute » ou « borné ».
Je regarde ailleurs pour ne rien en laisser paraître. Les futurs Leaders partent nous laissant seuls, Léon se retourne pour me dévisager d’un air de mépris, mais Arma lui donne un coup de coude. Je détourne vivement la tête, les joues rouges de gêne et de colère. Tyson me sourit malicieusement.


- Pourquoi souriez-vous ? je demande un peu sèchement.
- Votre sœur a bien raison, vous êtes culottée !
- Pourquoi pensez-vous cela de moi ?


Il réfléchit un instant, les yeux en l’air avant de me sortir d’un air conspirateur :


- Je ne connais qu’une poignée de personnes qui accepterait d’être fière d’être Humaine. Et seulement deux ou trois qui le crieraient sur tous les toits. Et le dire devant les enfants des Leaders d’Or ! Je vous tire ma révérence ! 


Il fait mine de se baisser pour mimer une courbette. Je le regarde étrangement.


- Vous ne devez pas être neutre vis-à-vis de cette société si vous vous opposez à votre père vous aussi.


Cela est très impoli, je dois l’avouer. Je me trahis en lui montrant que j’ai écouté leur conversation, mais peu importe, au point où j’en suis, tout me passe à côté. Il n’a pas l’air d’être touché par mon manque de savoir-vivre et esquisse un nouveau sourire.


- Est-ce que cela vous tente de monter sur le balcon ?


Je suis un peu déboussolée par ce changement de conversation. 
Je me demande même s’il m’a vraiment écouté.


- Heu… oui, si vous voulez, je réponds machinalement, la tête dans mes pensées.
Avant même de me rendre compte de ce que j’ai pu répondre, il m’a déjà emmené au niveau des escaliers. Il m’entraîne par le bras (quand me l’a-t-il agrippé ?) et nous gravissons les marches une à une.


Arrivés au sommet, nous contemplons les invités du Bal. Toutes ces couleurs, toutes ces étincelles ! Je suis émerveillée pendant un instant. La plupart des gens ne dansent pas, ils sont tous attroupés autours d’un buffet. Je ne sais pas vraiment ce qu’il y a, je n’ai pas mangé de vraie nourriture depuis le 6 mai, le jour de la Cérémonie de la Gloire. C’est une…. « fête » où nous portons tous un pantalon et un haut noirs en nous agenouillant devant les Leaders en répétant « Gloire aux Leaders » sur l’hymne, comme des zombies.
Cette nourriture me fait de l’œil ! J’ai envie de fausser compagnie pour la deuxième fois de la soirée à mon compagnon. Mais il le remarque et appelle un I.S planté devant les ascenseurs.


- Pouvez-vous nous apportez un plateau de nourriture ?
- Tout de suite Monsieur Ganecha.


L’I.S sort un appareil qui ressemble vaguement à un talkie-walkie et lance des ordres à son interlocuteur. Il nous lance un bref signe de tête avant de retourner à son poste. 
Quelques minutes plus tard, un serveur avec un plateau rempli de petits fours arrive dans notre direction. Je prends un petit canapé au jambon et au beurre. Une merveille de la simplicité. Toutes les saveurs explosent dans ma bouche, je ne me souvenais pas que cela avait un goût si bon. Tyson m’observe m’émerveiller avec un petit sourire moqueur avant de commander une coupe de champagne. J’en fais de même.


- Vous pouvez boire de l’alcool ? s’inquiète-t-il.
- Tant que vous ne le dites à personne, dis-je simplement en haussant les épaules.


Wil m’a déjà fait goûter de la bière et j’ai bien aimé. Ganecha réfléchit quelques secondes avant de confirmer la commande. Une fois nos verres à la main, le serveur s’éloigne, l’air terrifié. Les pilules nutritives ont remplacées les restaurants et les cuisiniers, donc les serveurs sont devenus des M.S. Je l’oublie rapidement avant de retourner à mon verre. Je bois une gorgée. J’aime bien le goût acide de la boisson.


- Vous aimez ?
- Oui, ce n’est pas trop mal.


Nous échangeons un sourire complice, mais je me rends bientôt compte de mon erreur. Pourquoi je me montre sympathique envers lui ? Il me terrifie et me remplit de haine, je ne devrais pas être aussi courtoise avec lui. À partir de maintenant, je dois me montrer prudente, je ne me permettrai pas de refaire une erreur.
Cette soirée s’annonce mouvementée.

 Suite et fin du chapitre 3

- Je suis vraiment désolé pour vos parents, leur mort est injuste.

 

Ses paroles me font l’effet d’une bombe. Comment est-t-il au courant ? Ah oui, c’est vrai. C’est lui qui les a tués.

Pourquoi s’excuse-t-il alors ? Je ne sais pas trop comment je dois prendre les excuses d’un Leader, c’est étrange.

J’avale difficilement ma salive avant de lui répondre d’une petite voix :

 

- Merci. Mais, comment êtes-vous au courant ?

- C’est moi qui ai traité cette affaire (mon corps est parcouru d’un frisson). Je suis un Leader 1 et quand j’ai eu le dossier, j’ai choisi de prendre votre frère en otage mais de laisser votre famille saine et sauve. Mais mon père ne m’a pas écouté, apparemment, mon avis n’est pas le plus important. C’est…c’est à ce sujet que nous nous sommes disputés.

 

Je ne sais pas si je dois le croire, j’hésite franchement, mais il a l’air sincère.

 

- Il aurait pu supprimer leur mémoire, continue-t-il. Mais il a soif de sang, il veut tout résoudre par la mort. Je ne suis pas fier d’être son fils.

- Leur…leur supprimer la mémoire ?

- Oui, c’est une invention de la D.O.P.

 

La D.O.P ou O.P, est le nom de la dimension où vivent les Inters, c’est un peu comme la D.J.N pour les humains.

 

- C’est assez pratique, on peut changer la réalité ou la supprimer complètement.

 

Il s’arrête pour réfléchir avant de reprendre :

 

- Voudriez-vous visiter la Pointe ?

 

Je manque de sauter de joie. Il n’a pas l’air de se rendre compte que cela me serait extrêmement utile. Il vaut mieux connaître un endroit avant de le prendre d’assaut.

Mais soudain, je me demande si tout cela n’est pas déraisonnable. Dois-je vraiment lui faire confiance ? Une idée me frappe avec la force d’un coup de poing. Et si je l’utilisais pour me faire visiter tout le domaine ? Me donner des informations capitales ? Il a l’air de m’apprécier, autant en profiter. C’est avec un éblouissant sourire que je lui réponds :

 

- Oui, avec joie !

 

Nous prenons l’ascenseur derrière nous. Il y a tellement d’étage que seule, je me perdrais sûrement.

 

- Choisissez un étage, me propose Ganecha.

 

Je choisi l’étage cinq, au hasard.

 

- C’est là ou travaille votre sœur, me dit-il, amusé.

 

Intéressant.

- Cela vous direz que l’on se tutoie ? Je n’aime pas les familiarités.

 

Je hausse les épaules.

 

- Oui, pas de problème.

 

Nous arrivons en silence à l’étage souhaité. La cabine s’ouvre sur un long couloir, longé de portes fermées séparées d’un écran chacune. Pour le moment, il y a juste l’inscription « Gloire aux Leaders d’Or ! » inscrit dessus, en lettres d’or sur fond noir.

 

- Il ne faut pas faire de bruit, certaines personnes travaillent encore.

- Le jour du Bal ?

 

Il me regarde fixement, je suis mal à l’aise

 

- Il faut toujours être vigilant.

 

Nous restons les yeux dans les yeux un long moment, mais un I.S nous interrompt (non que cela ne me dérange).

 

- Monsieur Ganecha ! Monsieur Ganecha ! Vous tombez bien, il…

 

Son regard passe de ma personne à celui de Tyson. Il se penche pour murmurer l’information à son supérieur, mais il parle trop fort pour que je ne l’entende pas.

 

-Il y a des intrus dans le bâtiment ! Ils ont une bombe et menacent de faire sauter la Pointe Noire ! Il faut les arrêter !

 

Oh non ! Wilfrid est sûrement condamné.

Je tombe sur le sol.

 

*************************

 

Je me réveille dans une grande chambre dont les murs sont en verre bleu. Je suis allongée dans un lit de même couleur.

 

- Comment vas-tu ?

 

Je me relève brusquement et vois Ganecha assis sur le bord du lit.

 

- Pas trop mal, dis-je d’une voix faible. Où suis-je ?

- Tu es dans ma chambre. Je t’ai transportée quand tu t’es évanouie.

- Je me souviens vaguement.

 

Wilfrid. Wilfrid est en danger.

 

- Que voulait l’I.S ?

 

Joue l’innocente, joue l’innocente.

- Des Rebelles sont entrés dans les sous-sols.

 

Je prends une mine terrorisée avant de poser la question qui me brûle les lèvres :

 

- Les avez-vous capturés ?

- Pas encore, mais cela ne saurait tarder. Quand tu t’es évanouie, nous t’avons secouru, je n’ai pas eu le temps de donner les ordres. Ils en ont profité pour s’enfuir.

Je retiens une exclamation de joie. J’ai sauvé la vie de Wilfrid et une dizaine d’autres Rebelles. J’ai eu raison de simuler un évanouissement, même si le choc sur le sol m’a réellement assommée.

- Je suis vraiment désolée.

 

Quelle menteuse.

- Ce n’est pas grave, ils n’ont rien volé et mon père les aurait torturés s’il les avait capturés.

 

Durant le silence qui s’éternise, je me demande si Tyson ne pourrait pas être un allié pour les Rebelles. Ce serait tellement pratique, il connaît tous les plans des Leaders et le bâtiment mieux que sa poche.

Il est responsable de la mort de ta famille, me souffle une vois désagréable.

Il a tenté de les protéger, rétorque une autre.

Je les efface d’un mouvement de tête agacé.

Je veux juste me servir de lui pour pouvoir créer un monde meilleur. Il est et restera un Ganecha, et je sais mieux que quiconque qu’il ne faut pas leur faire confiance, sous peine de recevoir un coup de couteau dès le dos tourné. Les Inters ont tué des centaines de millier d’Humains, ils n’épargnent personne. Ce sont des monstres.

 

- Où est Anya ?

- Elle est rentrée, je l’ai rassurée du mieux que j’ai pu. Je te ramènerai chez elle en voiture dès que tu te sentiras un peu mieux.

 

Il doit avoir au moins dix-huit ans pour avoir le permis.

 

- Merci Tyson.

- Tu peux m’appeler Ty.

 

J’hésite puis lui lance :

 

- D’accord Ty, appelle-moi Agé.

- Tu te sens prête à partir ? Ta sœur va s’inquiéter.

- Oui.

 

Il faut que je lui demande, sous peine de perdre un allié précieux.

 

- Je…je peux avoir ton numéro ?

 

Il me regarde avec surprise. Je ne pense pas qu’il s’y attendait.

 

- Oui, si tu veux.

 

Nous nous échangeons nos portables. Si on m’avait dit que j’allais avoir le numéro de Tyson Ganecha un jour, je n’y aurais jamais cru.

Nous sortons de la pièce. Je suis chez Olaf Ganecha,  mon pire ennemi.

Le salon est très beau, le mur extérieur est recouvert de verre noir, ce qui garde les lumières intérieures. Tous le mobilier est en verre, même la télévision. Un ascenseur, qui sert de porte d’entrée, se fond dans le mur. Tyson se dirige d’un pas énergique vers la cabine. Je le suis, en prenant soin de noter dans ma tête toutes les sorties et toutes les fenêtres.

Au cas où.

L’ascenseur descend au niveau -1. Ce n’est pas l’endroit des sous-sols, puisque Wil est allé au niveau -5. Je ne sais pas ce qu’il y a entre, mais ce n’est pas important selon lui.

Nous arrivons dans un garage où des dizaines de voitures sont alignées en rangée étincelante.

 

- Choisis celle que tu préfères, me lance Tyson.

- Elles sont toutes à toi ?

 

Il acquiesce. Une belle perte d’argent tout ça… je choisis machinalement une voiture de course grise métallique. Nous nous y installons, l’immense porte de garage s’ouvre. Tyson roule très vite, et nous sommes chez Anya en moins de vingt minutes.

Je descends de l’effroyable véhicule, la main sur le cœur. Je dois avoir le teint verdâtre.

 

- Bon…eh bien merci Ty.

- Avec plaisir.

 

Je m’apprête à tourner les talons, mais il me retient par le bras. Je lui fais volte-face.

 

- Attends, je dois te dire quelque chose.

- Quoi ?

 

Il hésite puis finit par lâcher, presque à contrecœur :

 

- Tu sais, après avoir lancé le gaz dans ton appartement, nous sommes allés voir les dégâts. Sur le sol, jonchaient les corps de tes parents (ma nausée s’amplifie) mais pas ceux de tes frères.

 

Je le regarde, les yeux ronds, en attendant qu’il me dise ce que cela signifie même si je connais déjà la réponse.

 

- Tes frères sont en vie.

 

Je n’arrive pas à y croire.

 

- Tu…tu es sûr ?

- Certain.

 

Mon cœur, que je pensais mort ces derniers temps, reprends doucement les battements qu’il n’a pas émis depuis un moment.

Ils sont en vie. Hermond et Dain sont en vie.

J’ai du mal à respirer, comme dans la boutique. Mais ce n’est pas par peur, bien au contraire. Je suis tellement heureuse, je suffoque, il fait chaud. Mon cerveau a perdu le contrôle, c’est un rêve. Tant de bonheur est impossible, pas vrai ? Tyson m’a vraiment dit qu’ils étaient en vie. Il ne me ment pas, je le sens. Il a beau être mon ennemi, je peux le croire. Mes membres tremblent, je tombe à genoux, salissant ma robe au passage, mais je m’en fiche. J’ai les larmes aux yeux.

 

- Où sont-ils ?

 

Je murmure ces paroles, comme si j’avais soif de réponse.

 

- Je ne sais pas (mon cœur rate un battement) mais ils doivent encore être dans la ville, c’est pratiquement impossible de s’échapper. Mais je te conseille de vite les trouver avant que les I.S soit les premiers à les voir. Trouve-toi des alliés.

 

Poussé par un élan de bonheur, je le prends dans mes bras, en larme et chuchote à vive allure :

 

- Merci, merci, merci beaucoup !

 

Il semble déconcerté mais me murmure presque imperceptiblement « pas de problème ».

Nous nous quittons après un bref salut.

J’ai de nouveau de l’espoir, une raison de me battre. Je rentre dans l’appartement, sans aller voir ma sœur (elle doit sûrement dormir) et accours vers ma chambre. Tyson a raison, je dois trouver des alliés.

J’appelle Wilfrid. Il décroche à la première sonnerie.

 

- Y’a un problème ?

- Non, bien au contraire, je murmure. Je viens d’apprendre que mes frères sont en vie !

- Quoi ? Agé, comment le sais-tu ?

- Heu…Tu sais, le Leader que ma sœur m’a présentée ? Eh bien c’est Tyson Ganecha. Et il me l’a dit.

 

Silence.

 

- Tu le crois vraiment ? finit-il pas dire.

- Je ne vois pas pourquoi il me mentirait, il n’a rien à y gagner.

 

Wilfrid soupire.

 

- Toi peut-être.

 

J’éclate de rire.

 

- C’est pas franchement une grosse récompense !

- La plupart des mecs ne seraient pas d’accord.

 

Il a pris un ton si sérieux que je me demande s’il plaisante.

Je rougis. Je ne suis pas d’accord, il ne me mentirait pas sur un truc aussi important.

 

- Moi je le crois, dis-je avec conviction.

 

Il soupire.

 

- Très bien si tu le dis. Demain réunion, il faut absolument qu’on les retrouve. Tu penses que tu peux partir de ta prison dorée ?

Je suis contente qu’il me fasse confiance.

- Non, mais je demanderai aux Leaders 10 la permission pour dormir chez Tullia.

 

La plupart du temps, ils refusent mais je ferai mon cinéma en pleurant devant Anya, elle leur forcera la main.

 

- Parfait, alors à demain.

 

Et il raccroche. Je m’étends sur mon lit, les mains derrière la tête, l’esprit plus tranquille, mais je sais que rien n’est encore joué.



24/10/2014
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