Irréductible, Tome 1

Irréductible, Tome 1

Chapitre 2

Chapitre 2

Je me réveille seule. Je déteste cette sensation de vide. Comme à chaque fois, mon réveil est inutile, je me lève toujours avant l’heure. Je reste allongée dans mon lit, en entendant le bruit agaçant de la trotteuse, qui avance, avance, avance…
J’ai toujours détesté les lundis, même avant la Guerre de Soumission.
Je ferme les yeux en respirant doucement, et essaye de me rappeler de mes plus lointains souvenirs. Ils sont un peu vagues, mais je me souviens de mes débuts à l’école, où le port de l’uniforme n’était pas obligatoire, de notre président, même si je ne comprenais pas son utilité à l’époque, des balades dans la ville avec mes frères et sœurs, les gâteaux et les friandises que l’ont mangé tous ensemble dans un parc près de la tour Eiffel…
Mais il reste des passages sombres de cette belle époque. Les armes, les corps sans vie dans les rues, les attentats, puis Hermond, à six ans seulement, me faisant sortir de mon école ravagée pour sauver notre peau, une arme à la main…
J’enfouis ma tête dans mon oreiller en me répétant inlassablement « Oublie, oublie, oublie… » mais je ne le pourrai jamais. Des larmes coulent le long de mes joues tandis que des images de Rodrick, mort, s’enchaînent dans ma tête. Je n’arrive pas arrêter le flot de souvenirs atroces qui m’assaillent. 
Mon réveil me tire de mes pensées. Je renifle et me dis tout haut :


- Et dire qu’Anya les admire et les a rejoint après tout ça…Je la déteste, elle et ses stupides Leaders !


Je finis par me lever péniblement puis enfile l’uniforme composé d’une jupe bleue, d’une chemise bleue plus claire et d’un blazer noir sur lequel est brodé le drapeau de la Dimension du Jour et de la Nuit. Celui-ci est composé d’un pistolet entouré de part et d’autre d’un soleil et d’une lune, sur un fond bleu foncé. J’attache mes longs cheveux en queue de cheval puis me dévisage dans le miroir. Je me considère comme une fille banale, hormis mes cheveux d’un noir de jais et mes yeux gris clair. Je rentre mon collier dans ma chemise car le port de bijou est formellement interdit au lycée Je descends prendre mon déjeuner, qui n’a de « déjeuner » que le nom En effet, les Leaders ont jugé inutile de bien se nourrir. Nous prenons donc des comprimés à chaque repas, même si nous avons droit à de la vraie nourriture durant les trois fêtes : Le Bal de la Victoire, La Cérémonie de la Gloire et Le Festin des Morts.
Une fois mes pilules avalées, je me prépare à prendre les bus. Celui-ci arrive rapidement. Je prends place près de Tullia, où je peux voir Hermond en tenue militaire, une mine dépitée sur le visage. Il n’aime pas son métier et se considère comme un traître, mais il n’a pas le choix. Il descend à son arrêt avec ses camarades pour rejoindre une navette qui le conduira à sa base.


- Agé ! Ici la Terre, tu me reçois ? dit Tullia en agitant sa main devant mon nez.


Devant mon manque de réaction, elle suit mon regard et laisse échapper un « Oh ! ».


- Ça doit être dur pour lui, me dit-elle doucement.
- Il ne s’y fait toujours pas, même après deux ans, je lui réponds les yeux dans le vague.


Je soupire et me tourne vers elle.


- Et dans un an, nous serons dans le même bateau…A faire un métier dont nous ne voulons pas.


Dans cette nouvelle dictature, notre profession est prédestinée mais nous ne l’aimons généralement pas car des bugs quotidiens sur leurs machines nous indiquent les métiers où nous sommes les plus performants, et non des métiers qui vont nous plaire. Contrairement à nous les Humains, les Inters ont le destin qu’ils veulent. A dix-sept ans, nous allons sur le lieu de notre futur travail pour apprendre les ficelles du métier jusqu’à nos dix-neuf ans, où nous sommes totalement autonomes. L’année prochaine, je serai amenée à aller dans un hôpital pour apprendre à devenir Infirmière, et mes études achevées, je prendrai un appartement avec Wilfrid. Nous avons l’obligation d’avoir un enfant minimum mais Anya a réussi à s’arranger avec les Leaders. Son «enfant» est Vilma et elles vivent dans un immeuble des quartiers riches.


- Ouais, renchérit Tullia. Franchement, la machine a dû avoir un bug phénoménal quand elle m’a attribué Policière. Tu me vois avec ce métier ? Moi une Reb…
Je lui plaque précipitamment ma main sur sa bouche avant qu’elle ne sorte le mot en entier.
- Chut ! T’es folle ou quoi ? lui dis-je en la libérant.
- Excuse-moi, me répond-elle penaude. J’ai oublié.


Nous arrivons au lycée. C’est un bâtiment qui ressemble à la Pointe Noire mais il n’est pas en cône. Sa forme cylindrique possède plus de cinquante étages car c’est aussi un lieu de recherches en tous genre. 
Tous mes cours se déroulent ici, mais je n’arrive à rester éveillée qu’à seulement deux d’entre eux, Le sport et les maths. A l’heure de notre pseudo-repas, je rejoins Tullia et d’autres amis à la cafétéria. Parmi eux, se trouvent Darke, un Inter que j’apprécie malgré tout. Il n’y est pour rien dans cette guerre. Il reste neutre dans ses opinions, ne prenant parti ni pour son peuple, ni pour les humains.
Nous prenons place, nos verres et comprimés à la main.


- Agé, tu penses pouvoir appeler tes parents après les cours ? On doit aller choisir nos robes ! me dit Tullia d’un air surexcité.
-Oui, je lui réponds. Mais c’est Anya qui va prendre ma tenue. J’ai un peu peur de ce qu’elle va me choisir…
- Tu as tort, intervient Rouna, une jolie fille à la crinière de feu. Ta sœur a de très bons goûts, pour le peu de fois où j’ai pu l’apercevoir en tout cas.


C’est vrai qu’Anya s’habille bien et sait se mettre en valeur, elle ne peut montrer son talent dans la mode que lors du Bal.
J’appelle mes parents à la fin des cours, comme prévu. J’obtiens une autorisation facilement. Nous allons dans une boutique spécialisée qui ne vend que des robes et des accessoires. Les filles essayent très vite de nombreuses robes. Un tas se forme à mes pieds tandis que mes amies me demandent mon avis sur de nombreux vêtements. J’en essaye quelques-unes avec elles pour plaisanter.


- Comment trouves-tu celle-là ? me demande Tullia en tournant sur elle-même.


Elle porte une robe bustier rose pâle qui lui va parfaitement. Cette tenue met en valeur sa silhouette élancée et fine.


- Magnifique ! répond Rouna. Quant à moi, je pense que je vais prendre la jaune. Bon, reprend-t-elle après un silence. Il faut que j’y aille, mes parents veulent que je sois de retour à 18h, vous savez, à cause des I.S, dit-elle en baissant la voix.


Les I.S sont des militaires qui traînent dans les rues, plus particulièrement le soir. Ce sont les gardes des Leaders. Leur méthode est simple, si vous avez l’air suspect, vous vous faites tuer sur-le-champ. Tout le monde les craint et les déteste.

Une fois Rouna partit, Tullia se tourne vers moi.


- Tu penses que la robe va plaire à Max ? me demande-t-elle les joues roses.
- Quelle importance ? Il ne sera pas là pour te voir de toute manière.


Je réalise mon erreur, j’ai peut-être été un peu trop brusque. Je m’excuse devant l’air peiné de mon amie.


- Ce n’est pas grave, je le sais. Mais c’est dur d’avoir un copain, de savoir qu’il sera au bal mais de ne pas pouvoir danser avec lui. Tu ne connais pas ça toi, me dit-elle avec un sourire sans joie.

Bien sûr que si, je sais ce que cela fait. Mais je ne lui dis pas. La culpabilité me ronge alors. Je me tourne face au miroir pour éviter de la regarder dans les yeux et me coiffe machinalement. Etant une très mauvaise menteuse, je hausse les épaules pour éviter de lui parler.


- Enfin, tu ne sais pas non plus ce que c’est d’avoir un copain.


Je déglutis. L’envie de lui répliquer le contraire me démange.


- Mais je pense que tu irais bien avec Wilfrid, dit-elle pensive.


Je sens que je vais craquer. Il ne faut pas, il ne faut pas ! 


- Et bien, me dit-elle en me faisant face. Tu as perdu ta langue ?


Devant ma mine gênée, elle pousse un petit cri et me lance d’un air menaçant :


- Agé, tu me caches quelque chose, je le sais !
- N-non, je bredouille un peu trop rapidement.
- Agénia ! s’exclame t-elle sur un ton de reproche, maintenant.


Je ne sais plus quoi répondre. Je réfléchis à toute vitesse et dis précipitamment :


- Ma…ma sœur va me présenter à un Leader et ça m’angoisse un peu, je dois dire…


Son air énervé prend place à une moue de déception.


- Ah bon… Je pensais qu’il y avait autre chose…
- Je trouve ça quand même sérieux ! je m’exclame, trop heureuse de changer de sujet. Elle veut quand même me caser avec un Leader !


Un sourire gourmand s’affiche sur son visage.


- Oh, il est peut-être mignon !


Je m’esclaffe, entraînant Tullia dans mon hilarité, mais nous nous stoppons net en voyant un I.S entrer dans la boutique. Nous nous regardons l’air horrifié. Il faut que l’on parte vite d’ici. Nous enlevons nos robes rapidement et nous dirigeons vers la caisse pour régler nos achats. Malheureusement, le militaire s’y trouve, accoudé contre un mur, il nous fixe. J’avale péniblement ma salive tandis que Tullia sort son porte-monnaie. Je peux remarquer que la caissière, la gérante du magasin sans doute, tremble. Je comprends alors que l’I.S n’est pas là pour nous. Après avoir payé, nous nous apprêtons à sortir du magasin mais une voix nous retient.


- Mesdemoiselles, attendez !


J’échange un regard angoissé à Tullia. Celle-ci, livide, hoche silencieusement la tête. Nous nous retournons alors lentement.


- J’aurai besoin de témoins pour ce qui va suivre. Cette femme, dit-il en désignant d’un air de dégoût la vendeuse, a oublié de nous avertir du cancer de son fils.


Pauvre femme, elle a commis une grave erreur. Protéger un malade est stupide, car les Leaders les jugent encombrants et inutiles quand ils sont condamnés. Les choses superflues de la société n’ont pas leur place. L’art, la musique…tout cela a disparu. Et les humains qui ne travaillent pas sont jugés inutiles. Alors quand on est vieux ou qu’on a une maladie trop grave, les I.S se débarrassent de nous comme de vulgaires déchets.
L’homme à la carrure imposante braque son arme sur la femme agenouillée. Celle-ci nous implore du regard. Je fais un mouvement vers elle mais Tullia me retient par le bras et me fait « non » de la tête. J’ai la gorge nouée. Le militaire commence le compte à rebours.


- 5. 
- Pitié, je vous en supplie !
- 4.
- Aidez-moi ! dit-elle en se tournant vers nous.


J’ai la tête qui tourne.


-3.
- J’ai des enfants ! sanglote-t-elle.
- 2.
- Je vous en conjure ! implore-t-elle les larmes aux yeux.


J’ai du mal à respirer.


- 1.
- PITIÉ ! hurle-t-elle.


Le coup de feu retentit. L’I.S observe le corps gisant dans une mare de sang, l’air satisfait et nous adresse un signe de tête avant de s’en aller.

******************

A peine ai-je fini la tonne de devoirs que j’ai, que mon portable se met à sonner. Je pousse un long soupir et réponds. 


- Salut Wil.
- Salut Agé. Tullia m’a raconté ce qui s’est passé à la boutique. Tu vas bien ? me demande-t-il soucieux.
- Heu… Pourquoi t’a-t-elle raconté ça ?


Il rit et me dit, moqueur :


- Eh bien, peut-être parce que je suis le chef des Rebelles ? Tu sais, beaucoup de gens m’informent de ce genre de trucs.


Je l’ignore et lui rétorque légèrement boudeuse :


- Pour répondre à ta question, oui, je vais bien. Je commence à être habituée, des morts, il y en a tous les jours.


C’est vrai. Hier Mat, et aujourd’hui, cette pauvre femme.
Wil me demande :


- Tu sais pourquoi l’I.S l’a tué ?
- Elle n’a pas dit aux Leaders que son fils avait un cancer.
- Erreur stupide, marmonne-t-il en émettant des petits claquements de langue agacés. Bon, je dois y aller mon ange.


Il me manque. Alors même si je connais déjà la réponse, je tente quand même.


- Ça te dirait de passer?
- J’aimerais bien, sincèrement, mais je dois expliquer le plan aux volontaires.


C’est vrai, le Bal approche et il faut se tenir prêt.


- Oh, je fais déçue. Je laisse ma fenêtre ouverte. Au cas où.
- D’accord, j’y penserai. Je t’aime.
- Moi aussi.


Et il raccroche. Je me lève et entrouvre ma fenêtre dans l’espoir qu’il vienne, puis je me laisse emporter dans les bras de Morphée.

****************

- Agé ! Réveille-toi ! Me chuchote précipitamment une voix familière.


J’émets un grognement indigné.


- Allez, Agé ! Il faut que tu te sauves !


Je reconnais les voix de Wilfrid mais elle a des accents paniqués

.
- Agé, je t’en prie ! Dépêche-toi !


J’ouvre péniblement les yeux et m’apprête à lui faire des commentaires de reproches.


- Qu’est ce qui ce passe ? T’es au courant qu’il fait nuit ? dis-je, railleuse.
- Des I.S veulent te tuer, toi et ta famille ! On doit fuir rapidement !
- Quoi ? Je m’exclame abasourdie.


Je me lève précipitamment et rougis devant mon accoutrement. Un mini-short et un haut, laissant apparaître mon ventre. Je crois bien que jamais aucun garçon n’a vu autant de partie de mon corps. Il me regarde brièvement et je comprends que la situation est grave. Je mets mes chaussures et le rejoins près de ma fenêtre.


- Désolé de te capturer de cette façon mais c’est une situation extrême.


Nous descendons rapidement et j’aperçois une voiture de sport, à la place du simple véhicule habituel de Wil.


- A qui est cette voiture ? Je demande en ouvrant la portière.


Il me sourit furtivement.


- Maintenant, elle est à moi.


Ah d’accord. Il l’a volé.
Je m’engouffre dedans tandis que Wil démarre. Il commence à rouler extrêmement vite.


- Qu’est-ce qu’il se passe à la fin ? Dis-je énervée.


Il pivote vers moi et me dit d’un air étrange.


- Un de nos alliés Inters m’a appelé en urgence pour me prévenir qu’une famille allait être exterminée. J’ai…j’ai entendu ton nom et je n’ai pas réfléchie. 


Je réalise alors la situation.


- Arrête-toi tout de suite ! Je hurle.


Il s’arrête brusquement et plante son regard dans le mien. Il dit d’un ton furieux :


- Mais ça va pas ?!
- Si tu crois que je vais laisser mes parents et mes frères là-bas, tu te fourres le doigt dans l’œil ! Je continue de hurler en l’ignorant.
- Agé, tu ne peux rien faire pour eux. On doit aller chez ta sœur, dit-il fermement.
- Ramène-moi chez moi !


Il baisse les yeux.


- Désolé mais c’est non.


Il redémarre la voiture. Je hurle, pleure, m’agite dans tous les sens mais il fait comme si de rien n’était. Nous arrivons devant l’immeuble de ma sœur. Wil sort tandis que je reste immobile, les larmes aux yeux. Il ouvre ma portière et détache ma ceinture.


- Je ne te le pardonnerai jamais, est-ce que tu t’en rends compte ? J’explose.


J’ai mal au cœur, je n’arrive pas à avoir des pensées cohérentes. J’ai juste l’impression de faire un très mauvais rêve. Il m’attrape le bras et me prend contre lui.


- Peu importe, marmonne-t-il, tu es en vie, c’est le principal.


Je le déteste. Mes parents, mes frères, tous vont se faire tuer par sa faute. Les larmes coulent le long de mes joues tandis que je me débats de son étreinte. 
Nous rentrons dans l’immeuble. Il me tient toujours fermement le bras. Je lui crache avec mépris :


- T’es vraiment un connard Wil, t’es qu’un sale…
- Je sais, me coupe-t-il en s’arrêtant.


Ses yeux me lancent un regard agacé, auquel je reste insensible. Il me dit d’un air furibond :


- Tu veux que je fasse quoi, hein ? Tu veux que je te ramène chez toi c’est ça ? Bon sang, Agé ! Il doit y avoir une horde d’I.S en ce moment, qui vont tout faire pour exterminer toute forme de vie !
- On aurait pu les sauver ! Nous savons nous battre !
- Non. Ils vont utiliser le gaz R.


Mes yeux se remplissent d’effroi. Le gaz R est un procédé monstrueux, utilisé uniquement en cas extrême d’urgence. Une fois que notre peau entre en contact avec ses émanations, le gaz mortel ronge chaque partie de notre peau pour ne laisser que ton squelette. Finalement, c’est un cauchemar.


- Pourquoi veulent-ils nous tuer ? Je demande à Wil.
- C’est ton frère qu’ils veulent car il fait partie d’un gang de Rebelles un peu spécial. Ils ne cherchent pas des armes destructives, mais ils essaient d’en fabriquer. Ils ont, à notre plus grande joie, réussie, mais ils se sont rapidement fait repérer. 
- Je…je l’ignorais. 


La tristesse domine ma voix, mais je continue.


- Pourquoi veulent-ils tuer mes parents et mon petit frère ? 
- Les Inters sont terrifiés à l’idée que ton frère puisse vous avoir communiqué des informations importantes. Ils ne veulent prendre aucun risque. Mais si tu n’étais pas chez toi, tu n’as rien à craindre. Voilà pourquoi je t’emmène chez ta sœur.


Je reste en colère contre lui. Les Leaders vont vouloir détruire tout être ayant parlé à Hermond.

Par n’importe quel moyen.
Même si j’avais pu les sauver, nous n’aurions pas pu nous échapper, à cause de la Clôture qui entoure toute la ville. Nous serions devenus des fugitifs, traqués de tous côtés.
Je laisse couler mes larmes, sans prendre la peine de les essuyer.


- Allez, me dit doucement Wil. Il faut qu’on y aille.


Je renifle en acquiesçant et me dirige vers l’immeuble. Les couloirs, sombres et élégants, me donnent quelques frissons. Nous arrivons devant la porte de ma sœur. Wil sonne une fois, puis deux. Anya nous ouvre, les yeux encore engourdis par le sommeil et les cheveux en bataille. Je la détaille. Elle porte une nuisette très courte. Je me tourne furtivement vers Wilfrid et je peux voir avec soulagement qu’il tourne la tête, gêné, pour ne pas regarder. Ma sœur nous dévisage, ébahie, avant de prendre conscience de sa tenue. Sans dire un mot, elle retourne dans la pénombre de son logement et revient, une longue veste sur les épaules. Elle nous fait signe d’entrer et je la suis, toujours accompagnée de Wilfrid. Nous nous asseyons sur son luxueux canapé. Elle commence à me dire :


- Que…qu’est-ce que tu viens faire ici ? Agénia, t’as vu l’heure ? Et en plus, accompagnée !


Elle regarde Wil avec une expression méfiante. Je lui explique rapidement la situation et je vois son visage devenir à la fois sombre et triste.


- D’a... d’accord. Et qui est ce jeune homme ? me demande-t-elle en désignant Wil d’un signe de tête.


Bon. C’était beaucoup plus facile d’expliquer à Hermond qui était Wil. Mais là… Je ne peux pas lui dire que c’est mon chef, et encore moins celui des Rebelles ! Je ne peux pas non plus lui dire que c’est mon petit-ami, pour des raisons évidentes.


- C’est le meilleur ami d’Hermond et quand il a su qu’il allait se faire tuer, il a voulu nous protéger, donc il a envoyé Wil. Mais il a juste pu me sauver moi car il était trop tard.


Ma voix se brise, tandis qu’Anya observe toujours mon compagnon. Elle finit par lui lancer :


- Et t’es un Rebelle ? Comme Hermond ?


Je tressaille. Bien sûr. Ma sœur n’acceptera jamais de nous héberger si elle sait. Je suis même quasiment sûre qu’elle laisserait mourir Hermond pour avoir été un Rebelle.


- Non, dit Wil, à mon grand soulagement.


Ma sœur affiche un petit air satisfait.


- Parfait. Mais, reprend-t-elle avec une mine soucieuse. Comment on va faire pour vos bracelets ? Tu viens de sortir au-delà du couvre-feu, ça a dû être enregistré, non ?
- Hermond m’a appris à les trafiquer, intervient Wil.


Je lui tends mon bras tandis qu’il sort une petite aiguille noire. Il la plante dans mon bracelet : un écran holographique apparaît alors. Il pianote quelques instructions, sous le regard désapprobateur de ma sœur.


- Voilà, déclare-t-il. Ni vu, ni connu. Je dois faire aussi quelques petits changements sur vous, dit-il en s’adressant à Anya. Pour ne pas que l’on sache que vous avez vu Agénia avant.


Elle se laisse faire, docile, mais je peux apercevoir une pointe d’agacement dans son regard.


- Merci, dit-elle d’un ton qui ne trompe personne. D’avoir sauvé ma sœur.
Je sais bien qu’elle n’en pense pas un mot. Elle doit détester Wil de m’avoir protégé moi, et non mes parents. Nous avons désobéi aux règles et elle n’approuve pas, c’est certain.
- C’est la moindre des choses, répond Wil en haussant les épaules.


Je vois ma sœur hésiter avant de lui demander:


- Vous voulez dormir ici ? A cette heure-ci, les rues sont remplies d’I.S.


Il refuse d’un signe de tête poli.


- Non, je me débrouillerai, ne vous en faites pas.
- Comme vous voulez.


Un silence gêné s’installe. Wil se lève d’un coup et se dirige vers la porte, prêt à partir. Anya le salut d’un signe de tête poli. Je lui lance un signe timide de la main, avant de le voir s’engouffrer dans les couloirs vides et froids.
Une fois Wil parti, Anya se tourne vers moi et déclare sévèrement :


- Tu sais que je n’aime pas désobéir aux règles, mais bon…on a pas le choix, pas vrai ? Je pense que les Leaders arriveront demain pour nous annoncer la…nouvelle (elle avale difficilement sa salive). On dira que tu es venue ici de ton plein gré pour me poser des questions sur mon travail et qu’après avoir longuement parlé, le couvre-feu était dépassé. Je crois que les Leaders te donneront des vêtements convenables, okay ?


Anya me guide dans son sublime appartement. C’est la première fois que je viens.
Quelles tristes circonstances pour une visite, me dis-je tout bas. Tous les murs sont bleus foncé et les meubles sont transparents. C’est ce que les riches ont, des meubles « invisibles ». Je me dirige vers le couloir. Il y a quatre chambres, deux sont occupées par Anya et Vilma. Je regarde le nom de ma petite sœur, écrit sur une porte en bois foncé. Pauvre Vilma, elle aura une bien triste surprise demain. 
Je rentre dans ma chambre. Elle est blanche, un grand lit au centre de la pièce. Une armoire et un bureau (transparents, évidemment…) sont collés contre les murs, utilisant l’espace tant bien que mal. Il n’y a aucune décoration, aucun objet personnel. Tellement de choses sont inutiles…parfois même des êtres humains. Je m’affale sur le lit et regarde pensivement par la fenêtre qui surplombe mon lit. Suis-je inutile ? Mes parents et mes frères étaient-ils inutiles ? Non, j’en suis persuadée. Hermond a réussi à trouver une arme contre les Inters.
Il n’était définitivement pas inutile.
Alors, on l’a tué. Le monde a tellement changé… Penser comme les Leaders. Agir comme les Leaders. Vivre comme les Leaders. Aujourd’hui, cinq personnes, dont une que je ne connais pas si bien, sont mortes. J’éclate en sanglot.


- Maman, papa, Hermond et Dain aussi ! Je suis désolée, je suis tellement désolée ! Je…suis…dé…dé…


Les mots me manquent. L’effroyable vérité me frappe en pleine poitrine, comme une lame chauffée à blanc. C’est de ma faute s’ils sont morts. Ma faute. Une profonde haine commence alors à s’insinuer doucement, comme un serpent en moi. Non…
C’est de la faute des Leaders. Tout, tout est de leur faute à eux.
Je sèche mes larmes d’une main rageuse. Ils ont pris le bonheur d’une famille. 
Ils ont contrarié la mauvaise personne….



24/10/2014
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